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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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d’après sa taille. Il
    était allongé sur le trottoir. Je me suis demandé comment il
    arrivait à dormir avec tout ce bruit et ce peuple.
    C’était très étrange. Il ne s’était pas installé sous un porche,
    là où j’avais vu nombre de gens passer la nuit. Il ne s’était même
    pas abrité le long d’une maison. Il gisait au beau milieu du
    trottoir. Les passants le contournaient, dessinant la forme d’un
    œil autour de son corps. Bizarre également : bien que personne
    ne semble le remarquer, personne ne trébuchait sur lui.
    Mais le plus surprenant de tout, c’était le journal qui le
    recouvrait, telle une couverture.
    — Youri, ce gars est un imbécile. Le journal ne peut pas lui
    tenir chaud.
    — Rien ne lui tiendra plus jamais chaud. Il est mort.
    Nous nous étions arrêtés pour contempler le mort, le seul
    être immobile dans la foule.
    — Pourquoi il est mort ? Est-ce qu’un Bottes Noires lui a tiré
    dessus ?
    Youri a haussé les épaules.
    — Peut-être. Ou c’est la faim. Le froid. Le typhus. T’as le
    choix.
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    — C’est quoi, le typhus ?
    — Une maladie. À la mode.
    — C’était un orphelin du malheur.
    — Ouais.
    Il m’a entraîné.
    Dès lors, j’ai commencé à apercevoir des morts sous des
    journaux tous les jours. Il était facile d’identifier les enfants –
    une seule page suffisait à les recouvrir.
    — Pourquoi on leur met du journal dessus ? ai-je demandé à
    Youri un jour.
    — Pour les cacher.
    — Mais je les vois, moi.
    Youri n’a pas répondu.
    Une fois, j’ai vu un mort être vu par quelqu’un d’autre que
    moi. Un homme. Il s’est arrêté devant lui. A posé son pied sur le
    journal bosselé. A lacé son soulier.
    Les cadavres avaient beau ne jamais rester sur place deux
    jours d’affilée, ils étaient constamment remplacés par des
    nouveaux. Parfois, les pieds dépassaient du journal. Au début,
    ils avaient encore leurs chaussures. Puis ils les ont perdues.
    Avant que leurs chaussettes disparaissent à leur tour.
    La nuit, je me demandais qui mettait des journaux sur les
    morts. Qui en débarrassait les rues.
    Les anges, ai-je fini par conclure.

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19

    Les garçons et moi logions dans les décombres. Si nous ne
    possédions pas de couverture, nous avions en revanche un tapis
    natté rond. Nous nous entassions dessous. Ce n’était pas lui,
    notre principale source de chaleur. C’était nous-mêmes. Nous
    dormions enlacés les uns aux autres, le nez blotti dans le cou du
    voisin. Enos appelait ça le partage des poux. Qui se permettait
    de péter était chassé de notre abri. Lorsque Youri était là, je me
    pelotonnais à son côté. J’ai passé bien des nuits sans lui. Je
    m’interrogeais, mais comme il m’avait interdit de lui poser des
    questions, je ne demandais rien.
    Nous devions avoir l’air d’une nichée de chatons. Nos voix
    s’élevaient dans l’obscurité. Souvent, nous parlions de nos
    mères. J’avais beau ne pas me rappeler la mienne, j’avais une
    assez bonne idée de ce qu’était une mère. Pas Ferdi.
    — Je ne crois pas aux mères, ne cessait-il de répéter.
    — Et d’où crois-tu que tu sors ? a répliqué Enos, une nuit
    sous le tapis. D’un éléphant ?
    — Qui sont toutes ces dames qui tiennent des enfants par la
    main, à ton avis ? a renchéri Olek.
    — Du flan.
    Les réponses de Ferdi étaient toujours brèves. Il crachait
    plus de fumée que de mots.
    — Tout le monde a une mère, a insisté Kouba. Tout le
    monde.
    — Et les orphelins ? a objecté Ferdi.
    Lorsqu’il parlait, son haleine sentait le cigare.
    — Les orphelins aussi, idiot ! s’est écrié Enos. Elles sont
    mortes, c’est tout.
    — Les vraies mères ne meurent pas, s’est entêté Ferdi.
    Personne n’ayant de réponse à ça, nous sommes passés aux
    oranges. Comme les mères, les oranges étaient un sujet familier.
    Enos prétendait en avoir mangé des tas, ce à quoi Ferdi
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    protestait qu’il inventait.
    — Ça a quel goût, les oranges ? ai-je demandé à Enos.
    Il a fermé les yeux.
    — Un goût unique.
    — À quoi elles ressemblent ?
    — À un petit soleil qui se lève.
    — Les oranges n’existent pas, l’a contredit Ferdi.
    Aux premières lueurs de l’aube, la majorité d’entre nous
    recommençait à croire aux mères et aux oranges. Mais à cette
    heure, sous le tapis, dans les ténèbres que troublaient les bruits
    lointains de la ville assourdis par le mur, Ferdi semait le doute
    en

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