Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
charrette s’arrêta, Jean-Louis Louschart adressa une question au curé de Saint-Louis, et mon grand-père entendit celui-ci lui répondre :
— Vous sauver.
— Non, mon père, dit le condamné d’une voix fiévreuse et avec une sorte d’impatience. Si je suis innocent de l’intention, qui fait le crime, mes mains n’en sont pas moins souillées d’un meurtre horrible. Je dois mourir, je veux mourir. Dépêchez-vous, monsieur, ajouta-t-il en se tournant vers-mon grand-père.
— Monsieur, lui répondit mon grand-père en lui montrant les masses furieuses et oscillantes qui ébranlaient la barrière, s’il y a ici quelqu’un qui touche à sa dernière heure, ce n’est pas vous.
Charles-Henry Sanson n’avait point achevé, qu’une tempête de hurlements éclatait, véritables rugissements du lion populaire. La palissade, volait en éclats, et de tous les côtés à la fois la foule se ruait sur l’échafaud.
Le forgeron qui avait dans le trajet adressé la parole à Jean-Louis Louschart était au premier rang ; il saisit le condamné dans ses bras musculeux, coupa ses liens, et le hissa sur son épaule, pour l’emporter en triomphe.
On vit alors une scène inouïe. Le patient luttant contre ses libérateurs, les repoussant., leur reprochant de l’arracher au supplice qu’il croyait avoir mérité, se retournant vers ses bourreaux, les invoquant, demandant la mort que sa piété filiale jugeait nécessaire à l’expiation, avec l’anxieuse angoisse avec laquelle on appelle ordinairement la vie.
Mais ses amis l’avaient entouré ; leurs efforts réunis triomphèrent de sa résistance, ils parvinrent à l’entraîner.
Cependant, la situation de mon grand-père était loin d’être rassurante. Séparé de ses aides, isolé au milieu d’une multitude enivrée de sa facile victoire, qui ne le connaissait que trop, et dont le flot n’avait exactement qu’à se refermer pour l’anéantir, il n’avait pas même la ressource de vendre chèrement sa vie.
Sa physionomie traduisait probablement les sinistres pensées qui l’occupaient, car le grand forgeron qui avait délivré le patient, s’approcha de lui, et lui saisissant le bras- :
— N’aie pas peur, Charlot, s’écria-t-il, ce n’est pas à toi que nous en voulons, c’est à tes outils. Désormais, Charlot, quand il te viendra une pratique, faudra la tuer pour la tuer, et ne pas la tuer pour la faire souffrir. Laissons l’enfer au bon Dieu, vois-tu, Charlot. Et s’adressant à la foule : Laissez-le passer, vous autres, ajouta-t-il, et faites attention que celui qui dira quelque chose à Charlot, on le prendra pour un marqué qui se venge.
Les rangs s’ouvrirent à cette harangue, plus pittoresque que correcte, et mon grand-père s’éclipsa.
En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, l’échafaud et tous ses sinistres accessoires avaient été mis en pièces ; on les jeta dans le bûcher préparé pour le cadavre en couronnant ce singulier édifice de l’épouvantable roue, dernière confidente de tant de martyres. On y mit le feu, et hommes et femmes, se tenant par la main, formèrent une immense ronde dont les joyeuses spirales se déroulèrent autour de l’auto-da-fé, tant que les cendres jetèrent une étincelle. .Jusqu’à la moitié de la nuit, la place retentit de chants joyeux.
J’ai raconté avec quelque prolixité cet évèment, ignoré et dédaigné des historiens, parce qu’il m’a semblé qu’il avait été l’occasion de la première fête populaire de la Révolution.
XII - MARIE-ANNE JUGIER
MA GRAND’M È RE
Après le supplice de Desrues, je devais placer celui de la roue, si l’on peut donner ce nom à l’auto-da-fé dont je viens de retracer les détails. Quoi qu’il en soit, ce fut la dernière fois que ce hideux appareil se dressa sur le lieu des exécutions. On n’est pas d’accord sur son origine, mais tout porte, à croire que ce fut la fable mythologique d’Ixion qui en fournit l’idée, et que si plus tard il joua un si grand rôle dans la pénalité des sociétés chrétiennes, c’est qu’il remplaça le crucifiement que celles-ci n’eussent pu conserver au nombre des châtiments sans craindre de commettre un sacrilège.
J’ai dit plus haut la singulière prédilection du Parlement pour cet horrible supplice dans le dispositif de ses arrêts. On doit en frémir lorsqu’on songe que notre ancienne législation criminelle punissait de la peine
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