Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
Montmorency avait été exécuté en 1632, à Toulouse, au moyen d’une doloire hissée entre deux poteaux et qui, en tombant, lui avait tranché la tête. C’était une coutume du pays.
On fut longtemps saris rien imaginer de mieux que ce système, et l’on allait peut-être s’y arrêter ; mais mon grand-père, toujours préoccupé des inconvénients qu’il avait signalés dans son Mémoire au garde des sceaux, ne cessait d’objecter qu’on n’avait point résolu la difficulté de l’attitude du patient et qu’il n’est guère plus facile à un homme de se tenir sur ses genoux que sur ses pieds, quand cette prostration dans laquelle il tombe à l’approche de la mort, vient à s’emparer de lui. Il fallait avoir vu de près et souvent ces choses-là, pour pouvoir en raisonner. On hissait bien un corps presque inanimé à la potence ; on l’attachait sur une roue ; mais autre chose était de le faire tenir debout ou sur ses genoux dans une immobilité absolue pour recevoir le coup mortel. Il faut s’appeler Montmorency, Lally-Tollendal, la Barre, etc., pour offrir le spectacle de cette stoïque résignation. Si l’on faisait tenir le patient par des aides, outre que c’était fort difficile, c’était exposer ceux-ci à être blessés.
Charles-Henry Sanson insistait donc vivement pour qu’on trouvât un moyen de fixer le patient et dans la position horizontale qui lui épargnait le poids de son corps et gênait en même temps la liberté de ses mouvements.
Heureusement il venait depuis quelque temps chez mon grand-père un mécanicien allemand nommé Schmidt, à qui il avait parlé quelquefois de son embarras et de celui du docteur Guillotin. Ce Schmidt, alors facteur de clavecins, était fort habile en mécanique et passionné musicien, comme presque tous les gens de son pays. Ayant fait la connaissance de mon grand-père par quelques instruments qu’il lui avait vendus, il avait fini par la cultiver, soit en venant accorder le clavecin, soit en apportant les fournitures qu’on lui demandait pour d’autres instruments. Le goût de la musique acheva de le lier avec Charles-Henry Sanson, qui était aussi un mélomane et jouait assez bien du violon et du violoncelle ; le répertoire de Gluck ne tarda pas à les mettre en accord parfait.
Schmidt venait donc très souvent s’escrimer sur le clavecin, tandis que Charles-Henry Sanson faisait gémir son violon ou soupirer son violoncelle. Or, un soir, entre un air d’ Orphée et un duo d’ Iphigénie en Aulide, on changea d’instruments, si je puis faire cet horrible jeu de mots, et mon grand-père revint à celui dont il cherchait avec tant de perplexité la forme.
— Attentez, che crois que ch’ai fotre affaire, ch’y ai bensé, répondit Schmidt, et prenant un crayon, il traça rapidement, en quelques traits, un dessin :
C’ÉTAIT LA GUILLOTINE !
La guillotine, avec sa lame d’acier tranchante, suspendue entre deux poteaux, et que le simple jeu d’une corde faisait mouvoir ; avec le patient attaché tout de son long sur une planche à bascule, de façon que, cette planche baissée, son cou se trouve juste à l’endroit où la lame vient frapper en tombant. La difficulté était vaincue, le problème résolu : Schmidt avait enfin trouvé le moyen d’exécuter le patient dans la position horizontale et de le mettre hors d’état de faire manquer l’exécution.
Charles-Henry Sanson ne put retenir une exclamation de surprise et de satisfaction.
— Che ne foulais bas m’en mêler barce que, foyez-fous, c’est la mort tu brochain ; mais che fous foyais trob ennuyé. Si nous rebrenions cette bedide air d’ Armide que nous afons chouée l’audre chour.
— De grand cœur, mon bon Schmidt, répondit mon grand-père qui vit qu’il voulait éloigner une idée pénible.
Et le clavecin et le violoncelle se mirent à marcher comme de plus belle.
Voilà pourtant comment la guillotine naquit au milieu d’un concert. Le lendemain de cette précieuse découverte, Charles-Henry Sanson en informa de suite le docteur Guillotin, qui ne se sentit pas de joie, car on ne saurait s’imaginer avec quelle passion, quelle fixité certains hommes s’attachent à une idée et l’empire qu’elle finit pas exercer sur leurs facultés. Des biographes peu exacts se sont plu à représenter Guillotin comme regrettant son œuvre dans sa vieillesse et poursuivi de doutes sur la réalité du service qu’il avait rendu à
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