Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
de la raison et de la philosophie.
L’attendrissement de Marat sur le sort des exécuteurs n’a rien qui doive surprendre ; toutefois, il ne parut point partagé par l’Assemblée nationale. Comme pour les conclusions de 1766, les pièces restèrent sur le bureau et il n’y eut point de décision. C’est un moyen à l’usage de tous les temps d’éluder les questions difficiles.
Charles-Henry Sanson dut donc se contenter de la formule du décret, qui était d’ailleurs de nature à satisfaire des susceptibilités moins exigeantes que les siennes. Robespierre avait très judicieusement dit, dans la séance du 24 décembre : « Je ne pense pas qu’il soit besoin de loi ; ceux qui ne sont pas exclus sont admis. » Du reste, le temps approchait où cette réhabilitation tant cherchée tournerait en apothéose et dépasserait bien cruellement la modeste ambition de mon grand-père. Il allait recevoir des félicitations officielles, des ovations populaires, devenir un des personnages essentiels de l’Etat. Jamais il n’aurait eu autant de besogne et c’est à l’œuvre qu’on couronne l’ouvrier.
XVII - LA GUILLOTINE
Le docteur Guillotin avait poursuivi avec une rare persévérance la tâche qu’il avait embrassée. Après avoir fait consacrer en décret, comme on le sait, dans la séance du 1er décembre 1789, sa motion du 28 novembre réclamant l’égalité des peines pour crimes ou délits semblables, quel que soit le rang des cou pables ; c’est encore lui qui, le 21 janvier suivant, avait pris de nouveau la parole pour soutenir ses autres propositions dont la discussion avait été ajournée. On se rappelle qu’il s’agissait de décréter que le crime étant personnel, la honte du supplice et des condamnations infamantes ne pouvaient imprimer aucune flétrissure à la famille des condamnés ; que la confiscation des biens était à jamais abolie ; que les corps des suppliciés seraient délivrés à leurs parents toutes les fois qu’ils les réclameraient, et, dans le cas contraire, admis à la sépulture habituelle, sans aucune mention sur le registre du genre de mort.
Toutes ces dispositions étaient dans l’esprit de l’Assemblée et dans le sentiment de la nation. On vient de voir comment elles se traduisirent en faits à l’occasion des frères Agasse. Mais il s’agissait surtout pour Guillotin de faire triompher autre chose qui lui tenait bien plus à cœur. Révolté de la barbarie des anciens supplices, saisi d’un profond dégoût à l’aspect de la potence qui, en défigurant les cadavres et en les laissant exposés dans cet état aux regards avides de la populace, semblait flétrir jusqu’à la mort ; il avait juré de renverser tout cela, en imaginant un supplice humain, s’il est permis d’accoupler ces deux mots, qui supprimât la souffrance, qui ne s’accomplît pas directement par la main de l’homme, et qui, une fois l’exécution consommée, cachât aux yeux de la foule, si encline d’ordinaire à se repaître de ces sortes de spectacles, les tristes restes de la victime immolée.
Telle était la pensée de Guillotin ; ses longues méditations sur ce sujet ne lui avaient fait entrevoir que la décapitation comme acheminement vers son idéal. C’était le genre de supplice le plus digne ; il frappait l’homme dans le plus noble et le plus puissant de ses organes, le siège présume de l’intelligence et de la pensée. Réservé jusqu’alors à une classe privilégiée, il devenait, grâce au principe de l’égalité dans le crime, le supplice du droit commun. Mais que d’exemples ne citait-on pas où le glaive inexpérimenté des exécuteurs avait fait de la décapitation une horrible boucherie ? Il fallait trouver un moyen plus prompt, plus sûr, plus infaillible que la main humaine, et le mécanisme seul pouvait l’offrir. Dès lors la solution du problème ne consista plus, pour Guillotin, que dans la découverte de la meilleure machine à décapiter. Cette recherche demandait du temps et des connaissances étrangères à celles du pauvre docteur, qui s’était jusque-là plutôt occupé de sauver ou de prolonger la vie que de donner la mort.
Aussi, pour gagner le temps nécessaire à ses investigations et à ses études, se borna-t-il à poser tout d’abord le principe en proposant seulement aux délibérations de l’Assemblée un article ainsi conçu :
Dans tous les cas où la loi prononcera la peine de mort contre
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