Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
nommé, Jacques-Nicolas Pelletier, condamné le 24 janvier précédent pour vol avec violences sur la voie publique. On n’était pas sans inquiétude sur l’attitude du peuple à l’aspect de ce nouvel instrument de mort, ainsi que le prouve la lettre suivante, adressée par Rœderer, procureur général syndic, à Lafayette, commandant général de la garde nationale :
Paris, 25 avril 1192.
Le nouveau mode d’exécution, Monsieur, du supplice de la tête tranchée, attirera certainement une foule considérable à la Grève, et il est intéressant de prendre des mesures pour qu’il ne se commette aucune dégradation à la machine.
Je crois, en conséquence, nécessaire que vous ordonniez aux gendarmes qui seront présents à l’exécution, de rester, après qu’elle aura eu lieu, en nombre suffisant sur la place et dans les issues, pour faciliter l’enlèvement de la machine et de l’échafaud.
Rœderer.
On se souvenait peut-être du dernier chapitre de l’histoire de la roue, et on craignait que l’effervescence populaire ne lui fit un digne pendant par un premier chapitre à sa façon de l’histoire de la machine à décapiter, que les uns appelaient déjà louison , ou louisette , du nom du docteur Louis, et les autres guillotine , du nom du docteur Guillotin. On sait que c’est cette dernière appellation qui a prévalu. Il n’en fut rien. Si le châtiment infligé à Pelletier était trop sévère, le criminel n’en était pas moins un de ces scélérats vulgaires dont le sort ne saurait exciter ni une généreuse pitié ni une véritable sympathie. Malgré une affluence prodigieuse, tout se passa donc dans le plus grand ordre et avec un calme parfait.
Cette exécution confirma pleinement les judicieuses observations de mon grand-père. Pelletier, tombé dans un affaissement complet, fut porté plutôt qu’il ne marcha au supplice. S’il eût dû être exécuté à l’épée, il aurait fallu le hacher à terre pendant qu’il se serait débattu, mu par l’instinct de la conservation.
Ce serait peut-être ici le lieu d’examiner si la guillotine est en effet le genre de supplice le moins douloureux, et si elle a, par conséquent, rempli les vues d’humanité de ses inventeurs, ou si, comme quelques anatomistes un peu paradoxaux ont essayé de le prétendre, elle engendre au contraire des souffrances horribles, et en quelque sorte posthumes, parce que le sentiment, la personnalité, le moi, subsistent encore, un certain temps après que la tête a été séparée du corps, et font éprouver au patient l’arrière-douleur de la section du cou ; mais je préfère ajourner l’étude de cette importante question à l’époque où, racontant mes propres souvenirs, je pourrai mettre dans la balance le faible contingent de mes observations et de mes impressions personnelles.
Le temps marche, d’ailleurs, et nous approchons d’événements si considérables, qu’il serait inexcusable d’en retarder ou d’en interrompre le récit.
XVIII - LE TRIBUNAL DU 17 AOUT 1792
Les événements se précipitent comme les éclats du tonnerre dans la tempête ; l’heure approche où l’histoire de l’échafaud et l’histoire de la France vont se confondre, où la chute du couteau triangulaire dénouera toutes les péripéties du drame qui tient le monde en émoi. Encore quelques jours, et le comparse honni de toutes les tragédies sociales, va devenir la clef de voûte de l’édifice social qui se fonde. Jusqu’alors, lorsqu’on lui jetait au visage l’insultante épithète de bourreau, il ne pouvait que répondre : Vous qui me méprisez, vous méprisez donc aussi vos lois ? Le délire sanguinaire d’un peuple entier va lui donner le droit de s’écrier : Il semble que ce soit pour moi seul que vous avez fait une révolution !
Peut-être y aurait-il là, pour le petit-fils du Sanson de 1793, du grand Sanson, comme on l’a appelé, un prétexte de se départir un instant des sentiments d’humilité qui lui ont été si cruellement reprochés ? Mais que le lecteur se rassure : en poursuivant le cours de ces récits sanglants, en l’initiant aux derniers moments des hommes, je ne le condamnerai pas à subir les développements des opinions que peuvent m’inspirer les actes de ces victimes et de ces coupables ; à défaut de la conscience de mon impuissance, le souvenir de la part que les miens ont dû prendre à leur martyre ou à leur châtiment, suffit à
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