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Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Titel: Mémoires de 7 générations d'exécuteurs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Sanson
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d’autres qu’il n’embrasserait même pas.
    Depuis l’entrée de ce personnage, Charles-Henry Sanson n’avait perdu ni un coup d’œil ni une parole. Le son de cette voix vint lui prouver que sa première impression ne l’avait point trompé : c’était bien encore le roi qu’il avait devant lui ; le roi en habit sombre, sans ordres sur la poitrine, et qui, à l’attitude qu’il avait prise et imposait à ceux qui devaient le reconnaître, montrait qu’il voulait cette fois garder l’incognito.
    Charles-Henry Sanson fut frappé de la justesse de son observation, et, portant machinalement les yeux sur le cou du roi, que de minces cravates de dentelles laissaient toujours découvert, il remarqua que ce prince, du reste très vigoureusement constitué, avait un cou musculeux dont les proportions dépassaient de beaucoup le croissant indiqué par le crayon de Schmidt. Un frémissement involontaire s’empara de lui ; et, comme il restait plongé dans une sorte de rêverie, il entendit, encore la voix du roi qui disait bas au docteur Louis, en le désignant du regard :
    — Est-ce l’homme  ?  
    Le docteur fit un signe affirmatif.
    — Demandez-lui son opinion, reprit alors Louis XVI.  
    — Vous avez entendu l’observation de monsieur, fit le médecin du roi ; quelle est votre manière de voir sur la forme du couperet ?  
    — Monsieur a parfaitement raison, répondit mon grand-père en appuyant avec une certaine affectation sur le mot monsieur ; la forme du couperet pourrait amener quelques difficultés.  
    Le roi sourit d’un air satisfait ; puis, prenant une plume sur la table du docteur Louis, il corrigea le dessin en substituant au croissant une ligne oblique.
    — Du reste, je puis me tromper, ajouta-t-il, et lorsqu’on fera des expériences, il faudra essayer les deux manières.
    Puis il se leva et se retira en saluant de la main. Ce n’était plus déjà le jeune roi que mon grand-père avait vu quelques années auparavant à Versailles, et dont la physionomie respirait alors une douce sérénité ; c’était un monarque vieilli avant l’âge, dont les traits altérés portaient l’empreinte de la fatigue et de cruels soucis. Par moments de sombres éclairs passaient dans son regard ; une irritation mal contenue plissait son front, et ce n’est qu’à la longue que la débonnaireté de sa nature reprenait le dessus. Louis XVI, captif de son peuple, de l’Assemblée, depuis son retour de Varennes, avait dû penser plus d’une fois au sort de Charles I e , et qui sait quelles amères réflexions traversèrent peut-être son esprit lorsqu’il retoucha le dessin de Schmidt.
    Telle fut sa seconde entrevue avec mon grand-père ; mais cette fois le roi, aigri et devenu défiant, ne se faisait plus un devoir ni un plaisir de se laisser approcher de tous ses sujets. Aussi Monsieur et l’homme , le roi et le bourreau, durent-ils observer un strict incognito. Ils ne devaient se retrouver que trop officiellement le 21 janvier suivant.  
    Cinq jours après cette conférence des Tuileries, c’est-à-dire le 7 mars, Antoine Louis présentait à l’Assemblée son rapport, dans lequel il proposait purement et simplement le mécanisme dessiné par Schmidt, avec l’alternative, après essai, de l’une ou l’autre forme de couperet. Le 20 mars, l’Assemblée adopta les conclusions de ce rapport, et le docteur Louis fut chargé de faire établir la première machine à décapiter. Il s’adressa à un nommé Guidon, maître charpentier, qui demanda cinq mille cinq cents francs pour ce travail.  
    Quand la machine fut achevée, mon grand- père et deux de ses frères furent appelés à la prison de Bicètre pour en faire l’essai sur trois cadavres. Cette expérience eut lieu le 17 avril 1792, dans la cour de Bicètre, en présence des docteurs Antoine Louis, Philippe Pinel et Cabanis. Les prisonniers, qu’on avait fait rentrer, contemplaient avidement de leurs fenêtres ce sinistre spectacle.
    On décapita successivement trois cadavres, qui avaient été fournis par la direction des hospices. Les deux premières exécutions avec la lame en ligne oblique, comme l’avait indiquée le roi, réussirent ; la troisième, avec le fer taillé en croissant, conformément au dessin de Schmidt, manqua. En conséquence, la cause de la lame oblique était gagnée.
    Huit jours après, mon grand-père avait à faire la première application de ce nouveau système sur un condamné vivant, le

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