Métronome
le musée de l’Armée, mais on peut encore se figurer ses vastes proportions et l’on retrouve l’atmosphère générale d’autrefois en admirant les fresques glorifiant plusieurs victoires militaires de Louis XIV.
En montant au premier étage, on a donc accès aux anciennes chambrées qui donnaient sur la galerie. Les marches des escaliers qui nous y conduisent, très peu inclinées, nous rappellent qu’elles étaient destinées à des mutilés. Parvenu en haut, on découvre des noms et des dessins gravés sur les murs, on voit aussi des témoignages des nombreuses petites occupations qui se sont développées ici pour tromper l’ennui des invalides. Ainsi, dirigez-vous au nord-ouest vers le corridor du Quesnoy, derrière la statue du Grenadier : vous apercevrez, tracée au-dessus du parapet de droite, une chaussure avec talon rabattu évoquant la mode des talons rouges réservés à la noblesse sous Louis XIV : c’est un graffiti du Grand Siècle. Il y en a un autre juste à côté, au-dessus du parapet situé à droite en prenant le corridor ouest.
C’est dans le pavillon nord que se situent alors l’entrée principale, les bureaux administratifs et le logement du Gouverneur. Et c’est devant cette entrée que se dresse le cheval de bois. Ce véritable instrument de torture représente une punition redoutée des pensionnaires. Car à la moindre incartade, à la plus petite faute, on punit, on humilie… Ce cheval de bois est une sorte de pilori où pendant plusieurs heures le pensionnaire coupable est soumis aux moqueries de ses camarades et aux regards des visiteurs. Car il y en a, des visiteurs ! L’hôtel des Invalides devient une promenade fort courue des Parisiens, et l’on vient jusqu’ici à la fois pour se repaître du malheur des autres et pour écouter les vieux soldats raconter leurs campagnes et leurs exploits. Au fond, on trouve aux Invalides un livre d’Histoire toujours ouvert, toujours prêt à être feuilleté. Les jeunes visiteuses chantent la complainte à la mode…
Dites-nous donc la belle
Où donc est votre mari ?
Il est dans la Hollande
Les Hollandais l’ont pris…
Et les vieux combattants racontent leur guerre de Hollande, au temps où l’on allait mourir dans les polders du plat pays ou se faire trouer la peau contre l’Angleterre, avec la Hollande pour alliée, car les coalitions se sont faites, se sont défaites, se sont refaites.
— Plus de quatre-vingts navires et seize brûlots hollandais transportant les poudres étaient engagés dans la bataille, raconte un marin cul-de-jatte. Les canons avancèrent leur gueule dans les sabords, les matelots des brûlots s’approchèrent des navires, mettant le feu aux coques et prenant la fuite sur des petits canots après avoir embrasé leurs propres embarcations ! La mer n’était plus qu’un vaste incendie et, dans cette fournaise, les vaisseaux s’éperonnaient, les bouches à feu crachaient, les mâts se rompaient… Ah bon Dieu, vous pouvez me croire, les boulets fusaient, il y avait des flammes partout, les grappins s’accrochaient aux bastingages, et j’en avais plein les oreilles, des cris des blessés…
Mais si l’hôtel des Invalides est opérationnel, et s’il comprend alors, en plus de l’hospice et d’un hôpital, une manufacture d’uniformes, il manque encore l’édifice qui doit parachever l’ensemble : l’église Saint-Louis. Libéral Bruant, l’architecte, hésite, atermoie, il n’est pas satisfait de ses plans et revient perpétuellement sur une construction qu’il juge sans cesse imparfaite. Louvois, le ministre de la Guerre, est agacé, mais il patiente encore deux ans. Finalement, il renvoie le bonhomme à ses chimères et le remplace par un de ses élèves, un jeune homme d’à peine trente ans : Jules Hardouin-Mansart.
En fait, ce n’est pas seulement sur l’esthétique architecturale qu’a achoppé Bruant, c’est aussi sur un problème de prérogative et de préséance : comment marquer, dans un unique lieu de culte, la fonction royale et la destination populaire ? Comment accueillir en même temps, mais de manière distincte, le Roi-Soleil et ses plus humbles serviteurs ? Hardouin-Mansart trouve la solution. Avec lui, le bâtiment se dédouble dans un ensemble architectural cohérent : la nef représente l’église destinée aux invalides ; sous la coupole, le chœur matérialise la chapelle royale.
Louvois prend les choses en main, alloue des crédits
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