Métronome
aux mains des princes insurgés…
Bien avant un certain 14 juillet, la Bastille était donc devenue un symbole à prendre ou à abattre. On ne savait pas très bien ce qui s’y passait, mais elle représentait le lieu de l’arbitraire et on la redoutait.
Généralement, les prisonniers – jamais plus d’une quarantaine, parfois nettement moins – étaient traités avec respect. Évidemment ! Il s’agissait souvent de jeunes nobliaux en rupture de ban qui avaient droit à un régime carcéral plutôt complaisant : ils faisaient venir leurs meubles pour plus de confort, donnaient des dîners et recevaient à l’occasion l’autorisation de sortir dans la journée, à condition de revenir coucher en prison.
Voltaire, auteur d’un pamphlet qui avait déplu, y fut enfermé onze mois en 1717. À son élargissement, il reçut de Philippe d’Orléans, régent du royaume, une pension de mille écus…
— Je remercie Votre Altesse Royale de ce qu’elle veut bien se charger de ma nourriture, mais je la prie de ne plus se charger de mon logement, répondit-il.
Cependant, cette complaisance n’était pas accordée à tous… Les archives laissent quand même entrevoir des crimes abominables. « Je vous envoie le nommé F. C’est un très mauvais sujet. Vous le garderez pendant huit jours, après quoi vous vous en déferez », écrivait Antoine de Sartine, lieutenant général de police vers 1760, au gouverneur de la Bastille, Bernard de Launay. Sur le même papier, le gouverneur bien discipliné notait : « Fait entrer le nommé F. et, après le temps fixé, demandé à M. de Sartine sous quel nom il voulait le faire enterrer. »
Ces exactions étaient pressenties, devinées, fantasmées par le populeux faubourg Saint-Antoine. Dans ces rues où se profilait l’ombre des hauts murs gris de la prison, vivait une foule d’artisans toujours prête à exprimer son mécontentement…
Si la forteresse a disparu depuis longtemps, on peut toujours se promener faubourg Saint-Antoine, arpenter les dernières arrière-cours encore animées du travail manuel des hommes pour respirer l’odeur des vernis et des bois polis selon les traditions de la belle ouvrage… Allez dans la cour Damoye, au niveau du n o 2 de la place, voici le passage le plus typique du coin. La maison à l’angle de la rue de Charenton est aussi un beau vestige de ce quartier bouillonnant : ici se dressa lors de la révolution de 1848 une énorme barricade bloquant l’accès au faubourg.
Tout change vite évidemment, et de vieilles fabriques de meubles ont été transformées en brasseries à la mode, car le quartier est très tendance en ce début de XXI e siècle ! Ce ne sont plus les ouvriers qui viennent investir les appartements à poutres apparentes des vieux immeubles un peu tordus, mais les jeunes bobos qui font de l’authenticité citadine un art de vivre.
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Au XVIII e siècle, le faubourg Saint-Antoine n’est pas tout à fait un faubourg comme les autres. Depuis Louis XIV, il est le lieu privilégié des artisans pauvres qui ont le droit de travailler ici librement, loin des organisations professionnelles. Ébénistes, menuisiers, cordonniers, serruriers, chapeliers vivent côte à côte, et les boutiques, qui sont aussi des ateliers, suivent la géographie sinueuse des voies du faubourg et débordent rue de la Roquette, rue de Charonne, rue de Charenton…
Tout au long du jour, le quartier est parcouru par des charrettes et des ânes tirés par les paysannes de la banlieue qui viennent vendre les œufs, le lait, les légumes et les fruits de leur ferme ; par des femmes qui tiennent leur cuisine près des quais et font cantine en plein air ; par des essaims de harengères redoutées pour leur violence et leur vulgarité… Cette population miséreuse, qui appartient au paysage quotidien du faubourg tout en venant de l’extérieur, se montre toujours prompte à exprimer sa colère ! C’est elle qui, pour une épidémie de trop, une mauvaise récolte ou une taxe additionnelle, entraîne les artisans sur la route dangereuse de la protestation et de la rébellion.
Le 27 avril 1789, le faubourg est en ébullition. L’objet du litige se nomme Jean-Baptiste Réveillon, propriétaire d’une manufacture de papiers peints établie sur un immense domaine rue de Montreuil. Quelques jours auparavant, Réveillon, qui se montre plutôt généreux envers ses trois cent cinquante ouvriers, a fait à la ville de Paris
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