Métronome
petite église. Éloi, l’orfèvre-ministre, reçoit l’ordre de concevoir une châsse propre à rendre au saint l’hommage qui lui est dû. Éloi obéit : il fabrique une œuvre superbe d’or et de pierres précieuses avec balustrades couvertes de dorures, portes en argent et toit de marbre. Les mânes de Denis peuvent être satisfaits : la dépouille repose enfin dans une sépulture digne d’un saint thaumaturge ! Mais le ministre va plus loin et dépasse le vœu royal : pour recevoir les dons des fidèles, il confectionne un tronc en argent ; pour exalter la foi des croyants, il cisèle une immense croix en or piquetée de grenats et de pierres fines.
Dagobert pense aussi au salut spirituel des dames. Sur l’île de la Cité, il crée un monastère féminin placé hors de la juridiction de l’évêque de Paris. Aure, la première abbesse, reçoit la règle des mains d’Éloi… ce sera donc le monastère Saint-Éloi ! Et bientôt trois cents moniales virevoltent entre ces murs. On construit pour elles deux églises : l’une dédiée à saint Martial, ou elles vont chanter l’office, l’autre consacrée à saint Paul, où elles sont enterrées quand vient l’heure. Notons, pour la petite histoire – celle qui aime regarder par le trou de la serrure –, que les religieuses, affriolées par la garnison militaire chargée d’assurer la sécurité du palais royal tout proche, se laisseront si bien séduire par les beaux soldats que la communauté sera finalement dissoute sur ordre du pape… mais cinq siècles plus tard seulement ! Ce qui permettra à quelques générations de bonnes sœurs de faire fraterniser d’une manière bien particulière le sabre et le goupillon.
Et puis, Dagobert couvre de ses bienfaits l’abbaye Saint-Vincent-Sainte-Croix. Bien sûr, la pieuse générosité du bon roi pour les abbayes et les couvents n’est pas tout à fait dénuée d’arrière-pensées politiques. Le monarque sait parfaitement le bénéfice qu’il peut tirer du prestige des martyrs et des saints. La religion n’est-elle pas la garante de l’unité du royaume ? Ni la langue, ni l’ambition nationale, ni la cohésion des peuples ne suffisent à rapprocher les parties éparses des États de Dagobert. Le catholicisme, son cortège de saints, ses accumulations de reliques, ses opulentes églises et ses puissantes abbayes sont les seuls éléments susceptibles d’unifier en une même extase spirituelle les divers morceaux du royaume franc.
Pourtant, le roi a besoin, parfois, de marquer son autorité et de collecter quelques fonds. Dans ce cas, il n’hésite pas à malmener certains ordres religieux. Les richesses arrogantes de ces institutions agacent le pouvoir, car le palais a constamment besoin de garnir sa cassette pour aménager Paris dont la population ne cesse d’augmenter, mais aussi pour faire la guerre contre les Gascons et les Bretons, qui réclament leur indépendance, ou contre les Slaves, qui menacent les frontières. Alors, pour récupérer de belles poignées de sous d’or, Dagobert confisque au profit de l’État des terres que l’Église s’était arrogées. Les moines vont-ils entrer en dissidence ? Non, car le roi joue avec habileté : il reçoit les prélats et fait intervenir son fidèle Desiderius, évêque de Cahors.
— Quant on a eu l’honneur de travailler directement sous les ordres de Votre Sublimité, déclare celui-ci, on sait qu’elle est incapable de brimer l’Église et que seuls son goût de la Justice et son appréciation de la nécessité peuvent la conduire à prendre de telles décisions.
Après cette déclaration épiscopale, le roi précise hautement qu’il ne s’agit pas d’enrichissement personnel, mais de soutenir la politique de sécurité et d’unification du royaume. Que répondre à cette volonté inébranlable ? Les évêques s’inclinent et se laissent déplumer sans trop récriminer.
À la fin de l’année 638, Dagobert qui n’a que trente-cinq ans ressemble à un vieillard. Ses pantalons bouffants et la toge dans laquelle il se drape ne dissimulent pas la vérité : le roi a terriblement maigri. De plus, sa barbe châtain a viré au gris et sa belle chevelure n’est plus qu’une terne tignasse. Ses crises d’inflammation de l’intestin sont de plus en plus fréquentes et il souffre d’hémorroïdes qui lui valent des hémorragies anales. Les médecins croient bon de pratiquer des saignées aux bras, mais elles ne
Weitere Kostenlose Bücher