Métronome
dirigeait le royaume depuis dix ans.
— À qui est-il plus juste de donner le nom de roi ? À celui qui n’a de l’autorité royale que le nom, ou à celui qui la possède complètement, mais sans le nom ? a interrogé Fulrad.
Sa Sainteté a consciencieusement lissé sa barbe grise, et après un long silence a répondu d’une voix grave et posée :
— Il est juste et raisonnable que celui qui exerce véritablement l’autorité royale porte le titre de roi.
En clair, le pape a donné son accord pour que Pépin monte sur le trône des Francs. Belle ingratitude envers les Mérovingiens, qui ont autrefois imposé le christianisme dans le royaume ! On a ainsi déposé le pauvre Childéric, qui s’est laissé faire.
*
* *
Une aube nouvelle se lève… Pépin, surnommé « le Bref » en raison de sa petite taille, est un hyperactif qui engloutit tout dans un appétit féroce de gloire, d’honneurs et de pouvoir.
L’accord de Rome favorise ses ambitions, encore lui faut-il obtenir une légitimité plus éclatante que ces quelques phrases prononcées en catimini par un pape vieillissant. L’évêque Boniface, habile conseiller diplomatique du nouveau roi, imagine et organise un sacre propre à frapper les imaginations. Il puise d’abord son inspiration dans la Bible. En effet, le livre de Samuel raconte l’onction des rois d’Israël : « Samuel prit une fiole d’huile, en fit couler sur la tête de Saül…» (I. X, 1.) Puis il regarde outre-Manche, chez les Bretons de la grande île : les rois des Scots sont bénis et ordonnés par la haute autorité ecclésiastique. Boniface fait un adroit méli-mélo de ces traditions pour concevoir une intronisation royale mêlant l’autorité de Dieu et la foi des hommes.
La cérémonie a lieu en la cathédrale de Soissons. Cheveux longs, barbe foisonnante et manteau pourpre sur les épaules, le roi répète les mots que lui souffle Boniface.
— Je jure de conserver en paix l’Église de Dieu et tout le peuple chrétien sous mon gouvernement, de réprimer l’injustice, d’où quelle vienne, de joindre dans tous mes jugements la justice à la miséricorde…
Alors, Boniface, en un geste solennel, verse sur le front de Pépin le saint chrême – un mélange d’huile d’olive et de parfum – qui doit lui insuffler l’Esprit-Saint, puis il dépose la couronne sur la tête du souverain et remet le sceptre entre ses mains, emblèmes de son autorité.
— Qu’il soit toujours victorieux et magnanime ! Que tous ses jugements soient équitables et sages ! Que son règne soit paisible…
Les nobles et les clercs réunis sous les voûtes de la cathédrale répondent en clamant par trois fois une formule latine :
— Vivat Rex in aeternum ! Vive le roi éternellement !
Dès cet instant, le roi des Francs devient monarque de droit divin, unifiant en sa personne Dieu et la nation.
Trois siècles et demi plus tard, Hincmar, archevêque de Reims, plus imaginatif que rigoureux, imaginera que Clovis a bénéficié, lui aussi, d’un sacre solennel. Une colombe aurait même apporté dans son bec le saint chrême destiné à oindre le roi baptisé… En fait, Clovis n’a jamais reçu l’onction. D’abord, la cérémonie n’avait pas encore été instituée. Ensuite, le roi n’était pas chrétien au moment de son couronnement. Mais la pieuse légende a permis aux rois de France de s’ancrer dans une lignée et de s’imposer comme distingués par Dieu lui-même.
Le sacre de Pépin le Bref n’est pas vraiment une bonne nouvelle pour Paris. Le nouveau roi ne manifeste guère l’intention de s’établir dans la capitale des Mérovingiens. Du reste, il ne songe pas vraiment à installer sa cour et son autorité dans une ville en particulier, il est un roi itinérant qui va de son palais de Cologne à celui de Thionville, de sa villa de Worms à celle de Compiègne. Et les nobles francs le suivent dans ce trajet qui ne doit rien à la nécessité, mais tout aux caprices royaux.
Peu après le sacre, alors que Pépin est à nouveau sur les routes, le bon pape Zacharie, qui a approuvé la destitution des Mérovingiens, s’envole pour le paradis des bienheureux. Étienne II monte sur le trône de saint Pierre. C’est lui maintenant qu’il faut amadouer si l’on veut demeurer brebis soumise dans le giron de l’Église. L’affaire se présente bien différemment que par le passé.
Autant Zacharie était un subtil politique, autant
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