Métronome
tactiques sont tentées par les Vikings. Désormais ils avancent protégés par des mantelets couverts de peaux de bête : ces boucliers énormes sous lesquels se groupent plusieurs hommes prennent l’aspect mythique et monstrueux de dragons improbables qui glisseraient sur le pont pour venir se lover sous la tour. L’ennemi essaie aussi de combler le fossé du Châtelet en y jetant des cadavres, ceux de troupeaux occis pour l’occasion, ceux des prisonniers francs passés par les armes… Et franchissant cette putréfaction, foulant de leurs pieds hommes et bêtes confondus dans le sang, ils tentent un assaut, encore repoussé. Les Barbares imaginent alors d’employer le feu : ils approchent de la tour des bateaux enflammés, qui s’écrasent mollement contre les piles du Grand Pont et s’enfoncent dans les eaux.
Mais un drame se déroule du côté du Petit Châtelet. Les eaux gonflées par les pluies hivernales ont emporté une partie du Petit Pont menant à la rive gauche. Sur cette rive, la tour se retrouve donc isolée et facilement assiégée. Pourtant douze braves résistent encore, et les Vikings, malgré leur nombre, n’arrivent pas à les déloger. Enragés, ils mettent le feu à la tour et les douze valeureux, épuisés par les combats, étouffés par la fumée, tentent une sortie et se réfugient sur la partie non écroulée du Petit Pont. Dans une lutte au corps à corps, ils se battent sans espoir. Onze meurent sous les coups. Le douzième, un joli garçon vêtu d’atours élégants, est pris pour un grand seigneur. Les Vikings, éblouis par une rançon possible, veulent le faire prisonnier, mais non, il échappe à ses ravisseurs, se saisit d’une épée et défie ses ennemis jusqu’à la mort. La tour subit alors la colère des hommes du Nord, elle est rasée jusqu’à la dernière pierre.
La résistance inutile et héroïque des douze Parisiens du Petit Châtelet restera pour Paris le symbole de sa force morale et de sa bravoure. Ardrade, Arnold, Eriland, Ermenfride, Erwig, Eynard, Goswin, Gozbert, Guy, Odoacre, Soties et Hervé, celui que les Vikings voulaient prendre vivant, entrent glorieusement dans l’histoire de la ville.
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Le printemps approche et les combattants s’épuisent. Les Vikings comptent leurs morts et se demandent si Paris vaut un tel prix… Il est urgent de trouver une issue honorable. Alors, le comte Eudes, aussi fin politique qu’habile militaire, envoie un messager pour proposer de rencontrer son ennemi Sigefroi. Les deux chefs s’entretiennent sur le Grand Pont, et le Franc propose au Viking une somme de soixante livres d’argent. Qu’il la prenne et s’en aille au diable ! La somme est ridicule, mais Eudes ne peut pas et ne veut pas faire mieux. D’abord, Paris a été terriblement appauvri par une bataille de plusieurs mois. Ensuite, en offrant un tribut plus important, Eudes verrait se dresser contre lui tous les Francs, très chatouilleux sur le plan de l’honneur et du courage.
Soixante livres d’argent, c’est juste assez pour permettre à Sigefroi de lever le siège en gardant la tête haute. Mais, sur le Grand Pont, les seigneurs vikings qui entourent leur chef contestent la transaction. Ils veulent poursuivre le combat, eux, ou alors toucher une plus importante gratification ! Vexés dans leurs ambitions pécuniaires, ils attaquent Eudes et tentent de le faire prisonnier, promesse d’une belle rançon… Mais le Franc brandit son épée, menace, perce quelques ventres et retourne sain et sauf sur l’île de la Cité. Les petits chefs vikings essaient ensuite de s’emparer du Grand Châtelet pour leur propre compte, mais ce sont maintenant des forces amoindries et divisées qui font l’assaut de Paris. Elle sont aisément repoussées.
Enfin, les Vikings renoncent. Mais ne sachant trop où se diriger, ils quittent leur camp de la rive droite et vont s’installer sur la rive gauche, près de Saint-Germain-des-Prés.
À Paris, on n’a pas le temps de se réjouir de cet armistice. Une nouvelle calamité s’est abattue sur la ville : les dépouilles entassées dans le fossé du Grand Châtelet ont provoqué une épidémie de peste. Les cadavres rongés par la maladie s’ajoutent aux morts tombés les armes à la main. Et quand le mal recule, la disette se répand sur une ville qui a soutenu un trop long siège. Alors, dans la nuit, on voit des ombres s’échapper de l’île de la Cité et se glisser dans le camp des
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