Métronome
douze ans ! Douze ans de conciles, de négociations, de promesses non tenues, douze ans durant lesquels le palais de la Cité abrite cette passion scandaleuse. Enfin, en 1104, Bertrade est soudainement frappée par la foi ! Son état de péché lui devient insupportable, elle veut faire pénitence et ne songe plus qu’à se vêtir de haillons pour se retirer dans une cabane du Poitou.
Le roi Philippe, on le comprend, est plutôt ahuri. Mais rien ne résiste à la volonté de Bertrade ! Et c’est ainsi que, dans un concile réuni à Paris, le roi se présente pieds nus, en robe de bure, afin de jurer qu’il renonce à celle qu’il a déjà perdue… Philippe retourne seul en son palais, Bertrade vole vers sa bicoque poitevine, l’excommunication est levée, le monde tourne rond à nouveau.
Et les Arts et Métiers dans tout ça ?
Les rois de France qui se succédèrent firent des donations considérables au prieuré Saint-Martin-des-Champs. Et le poste de prieur était fort recherché : il rapportait 45 000 livres de rente.
Le prieuré possédait aussi des geôles, qui devinrent au XVI e siècle la prison royale Saint-Martin. On y enferma essentiellement les filles de joie arrêtées sur la voie publique, et l’on imagine en frémissant la cohabitation difficile entre les dames de petite vertu et les moines austères !
À partir de 1702, le vieux cloître fut abattu et reconstruit. Le principal corps de bâtiment avait trente et une croisées de face et le vestibule mesurait trente pieds de roi (presque dix mètres) sur trente-six (un peu moins de douze mètres). Pourtant, il apparut vite que tout cela avait été bâti avec de mauvais matériaux : les constructeurs avaient sans scrupule volé les moines. Un entrepreneur n’avait employé que de la terre et des gravois recouverts de pierres, le charpentier n’avait fourni que du vieux bois… Ce dernier éprouva des remords, ou il eut peur pour son âme. En tout cas, il confessa sa faute et offrit un petit rabais de vingt-cinq mille livres sur la facture globale.
Par ailleurs, profitant de ces embellissements, les moines firent construire de vastes et belles maisons sur la rue Saint-Martin, élevèrent une fontaine au coin de la rue du Vertbois et ouvrirent un marché public.
Situé alors hors Paris, le prieuré était doté de ses propres enceintes, nous l’avons dit ; celles que nous pouvons voir aujourd’hui datent de 1273. Le bourg qui se développa fut finalement annexé à la ville au XIV e siècle et intégré dans la nouvelle muraille voulue par Charles V.
La Révolution transforma le prieuré en Conservatoire national des arts et métiers, que l’on peut toujours visiter au 292, rue Saint-Martin. Le musée des Arts et Techniques qu’il contient est, comme au temps des moines de Cluny, un refuge de la mémoire du progrès humain.
L’extérieur du Conservatoire vaut également le détour : n’oublions pas que l’architecture de l’an 1000 verra, avec Cluny, la diffusion de l’art roman, art majeur uniformisé et soumis à Rome. La base du clocher sud, avec son petit toit de tuiles bicolores, et les absides du chevet en forme d’alvéoles de ruches sont de beaux restes romans du XI e siècle. Dans l’église, on voit toujours le chœur aux fondations de 1067, et dont l’aspect actuel date du début du XII e siècle, époque durant laquelle le gothique commence à pointer à l’horizon : les arcs en plein cintre de l’art roman sont mêlés d’ogives, symboles de l’art gothique.
La grandeur passée du prieuré se retrouve dans le réfectoire des moines, devenu bibliothèque, sublime témoignage de l’art gothique du XII e siècle. De l’enceinte de cette époque demeurent, dans la rue du Vertbois, une courtine et une tourelle en partie restaurée.
Le coude de la rue Bailly rappelle la limite sud-est de l’enceinte dont la tour d’angle est visible dans la cage d’escalier du n o 7.
Enfin, au niveau du croisement des rues du Vertbois et Saint-Martin, se dresse la tour du Vertbois à propos de laquelle Victor Hugo, s’opposant à un architecte qui suggérait de la détruire, eut ce mot cruel :
— Démolir la tour ? Non. Démolir l’architecte ? Oui.
XII e siècle
PHILIPPE AUGUSTE
Paris, capitale de la France
Descendre à la station Philippe Auguste, à deux pas de la Nation, c’est se retrouver bien loin hors les murs du Paris du XII e siècle. Le quartier conserve pourtant quelques évocations du
Weitere Kostenlose Bücher