Métronome
tombe à terre, alors c’est la curée : haches et épées transpercent son corps de part en part.
Deux jours plus tard, le dauphin Charles fait dans Paris une entrée triomphale. Le 4 août, il convoque la population aux Halles et tient un discours où il dénonce un prétendu complot ourdi par Étienne Marcel et Charles de Navarre pour laisser entrer les Anglais à Paris.
— Le soir où le prévôt fut tué, ils voulaient faire mettre à mort tous ceux que l’on savait tenir pour le parti du roi et de son fils, et déjà de nombreuses maisons de Paris avaient été marquées de plusieurs signes.
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On le sait maintenant : c’est de Paris que monte la colère, c’est de Paris que vient la contestation. Vingt-cinq ans plus tard, l’évocation de la révolte parisienne fait encore trembler le trône de France. En 1383, le jeune roi Charles VI fait lire en la Grande Chambre du palais une ordonnance par laquelle il diminue les pouvoirs de la prévôté des marchands « pour les rébellions, désobéissances, monopoles, crimes et maléfices, tant de lèse-majesté et autres, en faits et en paroles ». Par une seconde ordonnance, le roi confisque « la Maison de Ville, assise en la place que l’on dit de Grève ». En affaiblissant le maire et en fermant l’Hôtel de Ville, le roi espère contenir les Parisiens. Illusion, bien sûr.
XV e siècle
CHATEAU DE VINCENNES
Paris risqué
Après Saint-Denis au VIII e siècle, permettons-nous une nouvelle incursion hors la ville pour émerger devant la masse claire et rayonnante du château de Vincennes dominé par la forme élégante de son donjon, résidence et protection des rois.
Traumatisé par l’assassinat en sa présence de deux de ses maréchaux par les hommes d’Étienne Marcel, le roi Charles V refusa de demeurer plus longtemps au palais de la Cité où s’était déroulé le drame. Il s’évertua à trouver d’autres lieux du pouvoir et, en premier, fit construire l’hôtel Saint-Pol en dehors des limites de Paris, sur l’actuel quai des Célestins. Ce vaste ensemble de bâtiments entouré de beaux parcs, aujourd’hui disparu, semblait plus favorable à la santé déficiente du souverain que l’air confiné de Paris. Charles V appréciait aussi le Louvre et fit aménager dans une tour sa bibliothèque privée, faite de bois précieux, dans laquelle il entreposa sa collection de livres, jetant ainsi les fondements de ce qui deviendra la Bibliothèque nationale.
Enfin, il fit aménager le château de Vincennes : en 1371, le donjon et son enceinte étaient achevés ; en 1380, se terminait la grande muraille ceinturant la forteresse. En lançant ces chantiers, Charles V voulait disposer non pas de nouveaux bâtiments utilitaires, qui existaient déjà, mais d’un volume supérieur d’espaces résidentiels. L’aménagement du château de Vincennes marquait la volonté royale de changer profondément la nature de la construction, d’en faire davantage qu’une forteresse dressée aux portes de Paris.
Cet ensemble architectural remarquablement bien conservé présente un intérêt historique exceptionnel. Plus que tout, mieux que les écrits et les témoignages, il exprime dans la pierre la naissance de l’État moderne. En effet, le projet de Charles V était non seulement de s’éloigner de Paris, qui risquait de se transformer en piège pour le pouvoir royal, mais aussi d’adopter un nouveau fonctionnement de l’autorité. L’entourage du souverain, ses familiers, ses officiers, ses scribes et ses secrétaires prenaient une importance grandissante et formaient autour du roi une équipe resserrée et efficace. Cette forme originale de « gouvernance » marqua un tournant essentiel dans la monarchie, elle annonçait déjà l’État moderne, avec un souverain entouré de ministres.
D’ailleurs, on avait bien besoin de cette forme renforcée de pouvoir : l’entrée dans le XV e siècle promettait une inexorable plongée vers les abîmes de la guerre, de la famine, de la mort. Les populations tremblaient car les rois et les princes redessinaient la géographie pour étendre leurs privilèges et leurs domaines. Même la référence religieuse, ultime recours des peuples écrasés, était brouillée : le Grand Schisme déchirait l’Occident et deux souverains pontifes prétendaient occuper le trône de saint Pierre, l’un à Rome, l’autre à Avignon. La désunion des soldats du Christ excitait les appétits
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