Meurtres dans le sanctuaire
des années, et Kathryn fit la grimace en y voyant des crottes de chien. Des tentures en lambeaux entouraient le grand lit à colonnes complètement défoncé. Luberon les écarta, et Kathryn chancela à la vue des deux cadavres qui gisaient là.
Nu comme au premier jour de sa vie, l’huissier était étendu d’un côté, la chair flasque de ses hanches et de sa panse maintenant d’une vilaine couleur blanchâtre tandis que son visage replet avait le teint violacé et l’expression grimaçante d’un pendu. Il était affalé, bouche béante, yeux grands ouverts. À côté de lui gisait la catin, maigre et toute en os. Elle avait le visage enfoui dans les draps sales, et sa perruque rousse avait glissé de travers. L’une de ses mains reposait sur la large poitrine de l’huissier, comme si, même dans la mort, elle avait voulu le cajoler.
Colum retourna le corps de la femme. Les seins flétris eurent un pauvre rebond, et les bras s’écartèrent comme les ailes d’un oiseau sans vie. Kathryn s’approcha pour examiner le visage peinturé, les dents jaunes entre les lèvres couleur carmin. La peau avait le même ton violacé que le visage de l’huissier.
— Par tous les diables, maugréa Colum, ce n’est pas un joli spectacle !
— La mort ne l’est jamais, rétorqua Kathryn. Entendant alors un bruit de haut-le-coeur, elle se détourna : dans un coin de la pièce,
Luberon, se tenant au mur, vomissait en hoquetant.
— Votre présence dans cette chambre n’est pas nécessaire, Maître clerc, lui dit-elle à mi-voix.
Et, après avoir considéré les traces rougeâtres qui apparaissaient sur les deux corps, elle ajouta :
— Je crains qu’il n’y ait eu, dans ce qu’ils ont bu, assez de poison pour tuer tous les occupants de l’auberge.
Kathryn leur ferma les yeux et fit glisser le corps de la catin sur le côté. Elle saisit le vilain pichet qui gisait entre les deux cadavres. Son contenu, en se répandant sur le lit, avait souillé les draps crasseux. Kathryn contourna le lit et trouva les gobelets d’étain que le couple avait jetés par terre, quand les affres de l’agonie l’avaient surpris. Ils étaient vides tous les deux. Kathryn les renifla soigneusement et regarda Colum.
— Ne buvez jamais du mauvais vin, dit-elle, on ne sait pas ce qui peut s’y cacher.
Elle prit le pichet et le jeta contre le mur où il se fracassa. Puis, s’agenouillant, elle tria les débris de poterie et ramassa le fond du pot.
— Pourquoi avez-vous fait cela ? demanda
Colum, accroupi à côté d’elle.
Kathryn saisit un peu de paille sur le sol et s’en servit pour gratter le fragment qu’elle avait récupéré.
— Vous remarquez les traces du vin, dit-elle à son compagnon, mais voyez-vous ce dépôt, semblable à la vase d’un étang ?
— Il peut venir du vin, non ? demanda Colum.
Kathryn secoua la tête :
— Non. Il est d’un grain trop fin, et ressemble plutôt à un dépôt de poudre. Celui que laisse le vin évoque davantage des grains de sable.
— Alors qu’est-ce donc ?
— Je n’en suis pas encore sûre, mais je pense à quelque chose.
Elle se redressa et se rinça les mains dans une cuvette d’eau. Elle les sécha ensuite avec méfiance à une serviette sale, puis sortit, suivie de Colum.
Dans le couloir, Luberon, pâle et défait, les attendait.
— Vous pouvez faire enlever les corps, lui dit Kathryn. Les deux infortunés ont été assassinés, et nous n’en apprendrons pas davantage ici, j’en ai peur.
Ils redescendirent au rez-de-chaussée, où l’aubergiste, pas très rassuré, leur expliqua que l’huissier était arrivé la veille et avait passé une bonne partie de son temps dans la salle de la taverne. La putain l’avait rejoint tard dans la nuit.
— Se connaissaient-ils ? demanda vivement Kathryn.
— Non. La femme est entrée, a regardé l’assistance avant de demander si un huissier se trouvait ici. Elle est alors allée le trouver.
— Et le vin ? s’enquit à son tour Colum.
— L’huissier a bu celui qui nous lui servions, mais la catin avait apporté son pichet, dont le col était scellé. Comme je ne voulais pas avoir d’ennuis, je les ai laissés seuls.
L’aubergiste se détourna pour se racler la gorge et cracher sur le sol. Puis il reprit :
— Vous savez comment sont ces envoyés officiels. Si vous les gênez dans leurs plaisirs, vous les aurez sur le dos votre vie durant. À présent, puis-je vaquer à mes
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