Meurtres Sur Le Palatin
leur vie
avait été sacrifiée, parfois en toute connaissance de cause, au nom de la "raison
d'État". Un beau gâchis, oui.
Était-ce
le moment, alors que les choses commençaient tout juste à se calmer, de
déterrer un nouveau scandale ?
Le
grand prétorien en était presque sur le point de se demander si cela en valait
la peine lorsque la porte s'ouvrit à la volée pour laisser passer un jeune
homme de haute taille vêtu d'une tunique chiffonnée et de sandales militaires
qui lui ouvrit les bras avec un éclat de rire tonitruant.
-
Devine qui est venu éclairer ta morne journée ! claironna-t-il.
La
première surprise passée, Kaeso bondit de la table où il était assis mais Io
fut plus rapide que lui.
Elle
se jeta sur le nouveau venu qui, sous l'élan et le poids du fauve, se retrouva
les quatre fers en l'air, riant tandis qu'il essayait d'échapper aux
désagréables coups de langue râpeuse.
-
Io ! Suffit !
Kaeso
la tira d'autorité par le collier et aida le nouveau venu à se relever avant de
le serrer affectueusement contre lui.
-
Caligula !
Le
jeune homme lui rendit son étreinte avec chaleur et recula un peu pour
détailler le prétorien des pieds à la tête.
Caligula
ressemblait beaucoup à sa mère, la regrettée Agrippine, bien que ses cheveux
fussent d'un châtain un peu plus doré et son regard bleu-vert plus farouche et
perçant. Tout comme ceux de Kaeso, mais pas pour les mêmes raisons, ses grands
yeux mettaient parfois les gens si mal à l'aise que ceux-ci étaient incapables
de regarder le jeune homme en face. Il en jouait d'ailleurs à loisir chaque
fois que l'occasion se présentait.
-
Tu as l'air en pleine forme, Wotan !
-
Disons que la canicule n'a pas encore eu raison de ma pauvre carcasse ! Mais
dis-moi, je te croyais à Capri au moins jusqu'à cet hiver. Concordia parlait
même de passer te voir là-bas.
-
Je le sais, elle me l'a dit tout à l'heure. Ouh ! Par tous les dieux, grimaça
Caligula en fronçant le nez. Qu'est-ce que ça sent, ici ?
Kaeso
agita la main pour chasser la question.
-
Je t'expliquerai. Salut à toi, Donar, lança-t-il en voyant un jeune colosse
blond franchir la porte.
Celui-ci
répondit au salut par un hochement de tête tout juste poli et s'appuya à
l'encadrement de la porte, les jambes légèrement écartées, fermement campées au
sol comme des chênes.
Hormis
la longue natte blonde retenue par des anneaux d'argent qui lui battait les
reins et le fait qu'il ne semblait pas avoir plus de vingt-cinq ans, le garde
germanique aurait pu être le frère jumeau de Kaeso.
-
Souris, Donar ! le brocarda Caligula. L'assassiner du regard ne changera pas
les sentiments que mon frère avait pour lui, tu sais !
Le
jeune Germain rougit et Kaeso détourna le regard, gêné.
Il
était de notoriété publique que Nero, le frère aîné de Caligula et ami
d'enfance de Kaeso, avait eu, à l'instar de bien des jeunes gens de sa
condition, un faible pour les jolis garçons. Rien de bien méchant ou
d'impudique car Nero n'avait rien d'un débauché, loin s'en fallait, et n'avait
d'ailleurs jamais imposé la présence de ses amants à Kaeso ni n'en avait vanté
les charmes en sa présence, sachant pertinemment qu'il n'éprouvait aucun
intérêt pour cela.
Au
grand désespoir de son ami d'enfance, apprit celui-ci bien après sa mort
tragique, car le frère de Caligula avait toujours nourri à son endroit des
sentiments qu'il n'avait jamais osé lui avouer. Douloureux et obsédants au
point que, lorsque les vicissitudes de la vie avaient séparé les deux amis
durant plusieurs années, Nero avait fait du jeune garde germanique son amant
pour la simple raison qu'il ressemblait comme deux gouttes d'eau à son frère de
lait trop chéri...
Donar,
fraîchement recruté à cette époque dans la prestigieuse garde germanique de la
famille impériale, ignorait tout cela et avait voué à l'homme qu'il était
chargé de protéger une affection confinant presque à la dévotion, répondant au
centuple à ce qu'il pensait être un attachement réel.
Ce
n'est qu'en rencontrant Kaeso à Pompéi, un an plus tôt, qu'il avait enfin
compris ce qui lui avait valu de partager le lit de Nero. Si cela le brisa, il
n'en montra rien. Prince parmi les siens, comme tous les cavaliers qui
composaient la mythique garde germanique, il était bien trop fier pour laisser
cette épreuve l'anéantir. Le seul signe de déception ou d'affliction que l'on
pouvait lire en lui apparaissait
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