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Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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mi-verte que les lampes électriques répandent le soir sur le
feuillage des marronniers ; si d’aventure vous n’avez jamais vu encore les
trembles géants qui bordent les prés le long du Danube, ces prairies immenses
et constellées de violettes, avec leurs frênes, leurs peupliers argentés, qui, sur
des kilomètres et des kilomètres, entourent le Prater et cachent pudiquement, pendant
les nuits printanières, les couples d’amoureux ; si d’aventure vous n’avez
jamais erré, le soir, dans les allées du Prater où, dans l’éclat des lumières, scintillent,
tremblent, se balancent et sautillent les paillettes d’or et d’argent
suspendues aux stands et aux balançoires ; si d’aventure vous n’avez
jamais entendu dix orgues de Barbarie jouer en même temps dix valses
différentes sous un ciel dont les étoiles pâlissent devant un éclat aussi vif –
alors, non, vous ne pouvez pas savoir qui est Liliom, même si vous avez lu
Molnar.
    « Liliom, c’est le type des balançoires. Le soir, le
Wurstlprater, a, sachez-le, quelque chose de totalement irréel. On y entre
comme sur une scène. Auprès de chaque balançoire, il y a un homme, un costaud, un
de ces braves gars de la banlieue viennoise, avec son maillot rayé, la
casquette canaille rejetée sur la nuque. Paris a ses apaches, mais je ne sais
pas s’ils sont authentiques. À Vienne, le type à la balançoire, lui, est
authentique. Avec un geste superbe, il lance, de ses bras robustes, la nacelle
de la balançoire jusqu’au ciel. Les petites demoiselles de la grande ville, toute
pâlottes, les petites demoiselles qui ne peuvent sortir que le dimanche après-midi
avec leur amie sont convulsivement cramponnées les unes aux autres… Leurs
regards débordants d’une admiration dévote s’accrochent à l’homme qui les lance
vers le ciel avec ce fabuleux élan ; mais voici que la peur les empoigne, elles
piaillent, leurs jupes se gonflent, se soulèvent, leurs bouclettes
soigneusement frisées s’échappent du bonnet… Mais qu’importe ! L’exubérance
téméraire d’un bonheur inopiné se saisit d’elles – de ce bonheur qu’achète la
foule avec le peu d’argent qu’elle a parcimonieusement économisé. Et le héros
dans la main duquel disparaissent les piécettes, qui leur dit « Mademoiselle »
et « Permettez… », l’homme qui leur donne ce superbe élan, l’homme
dont on voit qu’il connaît la vie, avec sa cigarette derrière l’oreille, ses
mains sales, son nez aplati et son sex-appeal rude, effronté, celui qui, insouciant,
brise le cœur des petites servantes et ouvrières, cet homme, c’est Liliom [48] … »
    Ici s’achèvent les souvenirs de Vienne. Car celui dont il est
question, dans cet article, n’est pas du tout le Liliom de Vienne, mais František
Liliom, le brave épicier tchèque. Et il n’y a plus trace de lyrisme dans la
suite de l’article. Milena ne se contente pas d’y montrer combien le Liliom
tchèque se distingue de son homonyme autrichien ; elle décrit avec une
grande sympathie (et en manifestant une connaissance étonnante des problèmes d’approvisionnement
en produits alimentaires) l’existence laborieuse et la tâche importante qui
incombe au petit épicier de la grande ville.
    *
    En 1937, Milena demanda à Willi Schlamm * , rédacteur
en chef de la Weltbühne, ayant émigré de Vienne à Prague, de collaborer
à Přítomnost. Elle traduisait en tchèque les articles qu’il
écrivait en allemand. Cette collaboration, mais aussi leurs centres d’intérêt
culturels communs, leur amour de la musique, leur passion pour la littérature, les
blagues, l’humour, le rire, le même enthousiasme, débouchèrent bientôt sur une
étroite amitié. Willi Schlamm admirait la capacité de travail de Milena. Elle
pouvait travailler soixante heures en une seule journée ; elle écrivait, traduisait,
s’occupait d’un nombre incalculable de gens, prenait soin de son ménage, faisait
la cuisine pour tous ceux qui, à ce moment-là, se trouvaient chez elle. Elle n’allait
jamais à un rendez-vous avec Schlamm sans apporter un cadeau, sans manifester
quelque petite attention. Elle avait toujours le temps. Tout le travail qu’elle
abattait ne l’empêchait pas de s’installer tranquillement au café Bellevue, près
du pont Charles où Schlamm avait l’habitude d’écrire ; et encore, elle lui
donnait rendez-vous le soir dans une gargote quelconque, toujours prête à
discuter, à

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