Milena
traité d’assistance,
elle pourrait aborder le problème « objectivement ». Sans en avoir préalablement
référé au gouvernement tchèque, Chamberlain envoya en Tchécoslovaquie une
commission d’enquête dirigée par Lord Runciman. Son rôle était de vérifier s’il
était vrai (comme l’affirmaient Hitler et Henlein) que la population allemande
de Bohême était « terrorisée » par les Tchèques. Lord Runciman, qui
ignorait tout de la situation en Bohême, refusa toute rencontre avec des
représentants de la population tchèque et renonça à s’informer réellement, que
ce soit aux plans politique, culturel ou social. Il rencontra exclusivement des
représentants de l’aristocratie allemande de Bohême, couronnant sa mission par
une entrevue avec le nazi Henlein au château du prince Max Hohenlohe.
Effectuant son reportage pour le compte de Přítomnost, Milena fut le témoin de la mobilisation rapide et sans accroc de la
population tchèque ; mais elle vit aussi à quel point les problèmes
existant dans la région frontalière de la Bohême étaient pratiquement
insurmontables : un fossé séparait Tchèques et Allemands, une haine mortelle
les dressait les uns contre les autres. Souvent, cette haine traversait les familles
elles-mêmes. Ici, c’était le mari qui était allemand et la femme tchèque ;
les enfants, excités par les passions chauvines, considéraient leur père comme
un « ennemi de la patrie » ou méprisaient leur mère qui était
boycottée par tous les gens de l’endroit et considérée comme « traître »
parce qu’elle était mariée à un Allemand.
« Parents et enfants, époux, frères et sœurs se jettent
des menaces au visage : “Attends un peu, attends quelques jours, on va te
la fermer, ta gueule ! “Sur le chemin de l’école, les enfants se lancent à
la figure “cochon de marxiste”, “putain tchèque” – et ce sont là encore les
mots les plus doux – et c’est une chance s’ils ne sont pas accompagnés de
pierres…
« À Eger, il y a eu deux morts. Les partisans de
Henlein disent ouvertement – je l’ai moi-même entendu : “Il nous faut
encore quelques morts, et après ce sera parti…” Il leur faut des martyrs, il
leur faut des héros. Deux morts ne suffisent pas encore […]. Mais il n’y a rien
d’étonnant à ce que ces deux-là soient tombés. Il serait plutôt surprenant – dans
ce climat de haine insondable, de boycott frénétique, de peur, de terreur
organisée, dans une situation aussi épouvantable qui gagne partout, dans les
familles, les usines, les ateliers, face à une atmosphère où toute prise de
parti politique, voire nationale, cède le pas au pur fanatisme pathologique – qu’il
n’y ait pas de morts. Ici, l’on voit le fils empoigner le couteau lorsqu’il
parle à son père, le frère tirer le couteau contre son frère… »
À Eger, Milena rencontre un Allemand qui, loin d’être un
partisan de Henlein, est un adversaire du national-socialisme. Il interdit à
ses enfants de participer aux réunions sportives et autres défilés aux
flambeaux du « parti allemand des Sudètes », se signalant ainsi à l’attention
générale. Mais « même de tels parents, écrit-elle, n’osent pas expliquer à
leurs enfants que, tout en étant allemands, ils ne sont pas nazis car, à l’école,
les enfants sont exhortés à rapporter tout ce qu’ils entendent à la maison […] et,
du coup, les enfants rivalisent de zèle pour espionner leurs parents… ».
Dans le paragraphe suivant de son article, intitulé « Les
Juifs, l’assassinat moral, la rumeur publique », elle évoque le destin des
Juifs en Bohême du Nord :
« Le citoyen de chaque pays porte en lui, consciemment
ou inconsciemment, la marque de sa nation. Cela se traduit par exemple dans la
force de la conscience qu’il a de lui-même, qui est comme un reflet de la
puissance à laquelle il appartient… Depuis que l’Allemagne est devenue une
force, depuis que sa propagande ne cesse de vanter cette force, comme le vent s’engouffre
dans la voile et l’entraîne sur l’eau, les Allemands se comportent partout
comme des maîtres ombrageux, affirmant que leur sang est meilleur que celui de
tous les autres. Depuis le temps où, presque partout dans le monde, les Juifs
ont connu un horrible destin, où on les a déracinés, on leur a interdit de
travailler, on les a privés de toute égalité de droit, ils parcourent cette
terre
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