Milena
directement sur son champ
de pommes de terre. “Mère, passe-moi le savon, je suis appelé”, dit-il ; il
se lava les mains et partit.
« Il y a là une admirable volonté de se défendre. Ce
peuple tranquille, paisible et pacifique mourrait de honte s’il se dérobait. Son
courage va absolument de soi. Ce peuple est là sur sa propre terre, il veut la
paix, de bonnes récoltes, il veut vivre – mais il prend les armes comme s’il
partait déjeuner. Il n’y eut ni cérémonie d’adieux ni chants enthousiastes. Presque
personne au village ne savait que huit hommes étaient partis. Il leur avait
fallu une demi-heure pour répondre à l’appel… »
À la fin de son article, Milena donne un exemple de
comportement exemplaire d’un officier en cas de guerre : « J’ai parlé
avec un homme qui avait fait la Première Guerre mondiale. Il n’avait absolument
aucune envie de tuer, de jouer au petit soldat. Les articulations de ses mains
et de ses pieds étaient noueuses comme des racines, son visage ressemblait à
une pierre patinée par le temps. Il me raconta comment l’officier s’était
comporté avec les simples soldats. Il dormait, mangeait, parlait avec eux. Pourtant,
les officiers sont une caste à part, tout un monde les sépare du commun des
soldats : “Un autre tabac, une autre façon de parler et des gants blancs”,
comme dit le film la Grande Illusion. Mais il semble que nos officiers
ont compris que le peuple avait besoin d’officiers qui ne soient pas des
maîtres, mais des soldats. Je ne sais pas de quel bord était cet homme
remarquable, mais ce que je sais, c’est qu’il écrivait pour ces gars, ces
hommes simples, les lettres qu’ils envoyaient à la maison car leurs mains
noueuses avaient du mal à manier la plume et ils s’entendaient mal à traduire
leurs sentiments en paroles. Cet officier mangeait la même nourriture qu’eux (elle
était bonne, au demeurant), fumait les mêmes cigarettes ; il écrivit pour
deux d’entre eux une requête adressée à l’administration fiscale à laquelle les
opposait un conflit déjà ancien. À leur insu, il joignit à cette requête une recommandation
où il priait l’administration de régler l’affaire rapidement. Et, miracle inouï,
lorsque les soldats rentrèrent chez eux, ce problème inextricable était résolu.
C’est qu’à l’évidence les choses peuvent marcher sans “ heil ” et sans
ordres brutaux. Je ne sais pas, au reste, si cet officier n’était pas un loup
blanc. Mais je sais que sa manière est la bonne pour constituer une bonne armée.
« Ce peuple, il n’y aurait pas besoin de l’éperonner si
devait arriver l’heure que nul d’entre nous n’appelle de ses vœux. Il se
défendrait, prendrait les armes avec le même sentiment d’évidence par lequel il
a répondu à l’ordre de mobilisation au cours des journées de mai [50] . »
La démonstration que fit la population tchèque de sa volonté
de se défendre ne demeura pas sans effet. Les gouvernements français et anglais
firent preuve, après la mobilisation de mai, au moins en paroles, et pas pour
longtemps, d’un peu plus de fermeté qu’auparavant face à Hitler. Un
porte-parole du Quai d’Orsay alla jusqu’à déclarer que « si l’Allemagne
franchit la frontière tchèque, la guerre éclatera automatiquement car la France
est prête à aider la Tchécoslovaquie en toutes circonstances ». Mais ce ne
fut qu’un feu de paille et le danger ne fut écarté que très provisoirement. Cette
attitude plus ferme des alliés de la Tchécoslovaquie fit bientôt place à de
nouvelles hésitations ; leur promptitude criminelle à se fier aux
assertions solennelles de Hitler démontra alors leur impardonnable
méconnaissance de la mentalité de l’adversaire national-socialiste. Dès les
mois suivants, la tension s’accrut. Le nazi des Sudètes, Henlein avança de
nouvelles revendications plus exorbitantes encore exigeant catégoriquement, pour
finir l’ Anschluss des Sudètes au Reich allemand.
Les gouvernements français et anglais, pris d'une peur
panique à l’idée que pourrait éclater une guerre à laquelle ils n’étaient
absolument pas préparés, ordonnèrent au gouvernement tchèque, l’implorèrent
même de céder tout ce qui était possible à Hitler. Ils décidèrent, en juillet
1938, que l’Angleterre serait seule habilitée à discuter avec Hitler du
problème tchécoslovaque, car, n’étant pas liée à Prague par un
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