Milena
elle pourrait voir sa mère, ce matin, au palais Petschek… »
Du coup, bien sûr, on trouva rapidement Honza et elle rendit visite à Milena, munie
d’un gros paquet de linge dans lequel elle n’avait pu s’empêcher de glisser
quelques messages secrets. En dépit de sa résistance, les petits bouts de
papiers furent, heureusement, enlevés au dernier moment.
Début 1940, les Mayer durent quitter leur appartement, après
que Fredy eut quitté la prison de Pankrac, et se réfugier à l’étranger. Honza
fut donc confiée, comme l’avait souhaité Milena, à son grand-père. Peu après, l’on
vit donc se présenter chez les Mayer le Pr Jensensky, cet antisémite notoire, sauter
au cou de M me Mayer, une Juive, l’embrasser et exprimer sa
gratitude pour le soin qu’elle avait pris si longtemps de l’enfant.
*
Comme tous les prisonniers politiques, Milena était détenue
à la prison de Pankrac d’où, chaque matin, une voiture de police l’emmenait
pour interrogatoire à la Pečkarna. Le palais Petschek était une ancienne
banque pourvue de trois sous-sols où se trouvaient naguère les coffres-forts et
qui constituaient dorénavant le quartier-général de la Gestapo. Parfois, Honza
était autorisée à rendre visite à sa mère et, jusqu’à son arrestation, Fredy
Mayer, son père nourricier, l’accompagnait à la Pečkarna.
Au terme de nombreux interrogatoires, dont rien d’accablant
n’était ressorti pour Milena (elle se défendait avec grande habileté), on la
transféra d’abord dans un camp réservé aux « apparentés à des Juifs »,
à Beneschau, puis à la maison d’arrêt de Dresde. Enfermée dans une cellule
froide, humide, très insuffisamment nourrie, Milena vit sa santé se dégrader, et
elle ne s’en remit jamais. En peu de temps, elle perdit plus de vingt kilos et
commença à souffrir de rhumatisme articulaire. Tout juste un an après son
arrestation, elle fut informée que la procédure engagée contre elle était
suspendue, faute de preuves ; on lui indiqua qu’elle serait bientôt
reconduite à Prague et qu’on l’y relâcherait. Elle se voyait donc déjà en
liberté. Mais, à la prison de Pankrac, la Gestapo lui délivra un « certificat
de détention préventive » en vertu duquel elle devait être transférée à
Ravensbrück.
Une fois encore, la petite Honza put lui rendre visite. Milena
n’oublia jamais le spectacle de la petite fille s’éloignant avec ses jambes
maigres d’enfant dans le couloir de la prison. Elle avançait d’un pas assuré à
côté du gardien, allant vers un monde sans mère, sans véritable foyer. Milena
ne devait jamais revoir son enfant.
*
Dès la fin du mois d’octobre 1939, alors que Milena était en
prison depuis quelques semaines, la première manifestation de rébellion ouverte
contre la tyrannie allemande avait eu lieu à Prague. Étudiants et écoliers
étaient descendus dans la rue. On avait ouvert le feu contre les rassemblements
et cent vingt jeunes y avaient trouvé la mort. Le 18 novembre, les
nationaux-socialistes décrétèrent la loi martiale. Des dizaines de milliers de
personnes furent arrêtées, embarquées en prison et dans les camps de
concentration. Jour après jour s’aggravaient les persécutions contre les Juifs.
Conséquence de la loi martiale, l’université tchèque de Prague et tous les établissements
d’enseignement supérieur furent fermés, pour une durée de trois ans dans un
premier temps, puis, par la suite, « pour l’éternité ».
Un être libre
« … Ses veux […] ne disent pas tant le combat
passé que celui qui vient [66] »
En fait, Milena aurait dû devenir, au camp, la cible d’attaques
constantes ; la grande masse des détenues, dans leur aspiration à s’adapter,
en venait à collaborer avec ceux qui les asservissaient. En règle générale, les
personnalités marquantes qui résistaient à la contrainte, qui refusaient de se
soumettre, étaient rejetées – quand on ne les persécutait pas. Peut-être cette
attitude était-elle le produit d’une sorte de sentiment de culpabilité ; inconsciemment,
on savait que l’on avait sombré dans l’opprobre. On s’en vengeait contre celui
qui demeurait inébranlable.
Mais pas contre Milena. Elle constituait une étonnante
exception. Elle n’était persécutée que par les dirigeantes communistes, pour
des raisons politiques. Il y avait au reste quelque chose de tout à fait
provocant dans la manière d’être de
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