Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
Vom Netzwerk:
Milena : sa façon de parler, de se
déplacer, son port de tête ; chacun de ses gestes signifiait :
« Je suis un être libre. » Elle était vêtue du même uniforme que
toutes les autres mais, quand elle apparaissait quelque part, un vide se
faisait parmi la foule des détenues, autour d’elle, elle se détachait de la
masse, on la regardait. Tout cela aurait dû susciter des réactions de rejet. Mais
tout au contraire. Je ne parle pas ici des nombreuses détenues qui étaient
attachées à Milena par des liens d’amitié ; je parle de l’opinion publique
du camp, si l’on peut dire. Les détenues lui attribuaient des surnoms flatteurs.
Milena portait au bras son numéro de détenue, le 4714. Ses codétenues l’appelaient
« 4711 », comme l’eau de Cologne. Le nom de famille de Milena était
Krejcarova. Mais, au bloc 1, on l’appelait « Zarewa », la souveraine.
Ces petits exemples disent quelle était son influence parmi la population du
camp. Du reste, il y a là un mystère : comment se fait-il qu’en captivité
on se sente pris d’amitié à l’égard de tel individu, alors que l’on rejette au
premier coup d’œil, sans même le connaître, tel autre ? Certainement les
faibles, ceux qui désespèrent, se sentent-ils attirés, dans cette situation
sans issue, vers ceux qui, comme Milena, irradient la force.
    Un jour, Milena arriva en retard à l’appel. C’était une
faute grave. Peut-être aurait-on fermé les yeux si elle était arrivée en toute
hâte, consciente de sa faute. Mais non, elle arriva sans se presser, décontractée,
détendue. Du coup, la SS sortit de ses gonds. Furieuse, elle s’élança vers
Milena, levant déjà la main pour la frapper au visage. Milena ne bougea pas, la
regardant de haut en bas, droit dans les yeux. La mégère laissa retomber son
bras, presque saisie d’un sentiment de culpabilité, comme clouée sur place.
    C’était souvent la conduite d’un détenu qui faisait qu’il
était frappé ou non. On peut dire sans exagération que de nombreux visages, avec
leur expression craintive et servile, appelaient les coups des SS. « C’est
l’essence même de l’angoisse, disait Milena, on ne peut pas rester en place… Simplement,
en restant debout, je fais face calmement à ce que je ne connais pas, je me
prépare à affronter cet inconnu… Mais pour pouvoir le faire, il faut de la
force ; et cette force, l’individu ne l’a qu’aussi longtemps qu’il ne
sépare pas son destin de celui des autres, qu’il ne perd pas de vue l’essentiel,
qu’il a la conscience profonde d’appartenir à une communauté. Dès qu’il n’est
plus qu’une conscience isolée, il cherche dans son âme un prétexte pour s’évader.
La solitude est, peut-être, la plus grande malédiction qui existe sur terre [67] … »
    *
    L’infirmerie était dirigée par le D r Sonntag, médecin
SS qui, à l’évidence, s’intéressait à Milena en tant que femme. Il la traitait
avec une politesse marquée, s’efforçait de l’entraîner dans des discussions et
lui offrit, une fois, les restes de son petit déjeuner – qu’elle refusa d’ailleurs
d’un ton décidé. Un jour, il l’arrêta dans le couloir de l’infirmerie. Il
portait toujours une canne en bambou. Quand elle ne lui servait pas à prendre
la pose, il l’utilisait pour frapper les détenues. Donc, tout en parlant à
Milena, il la caressait sous le menton avec sa badine, en matière de plaisanterie.
Il ne s’attendait pas du tout à ce qui suivit. Milena saisit la canne et l’écarta,
ainsi que le long bras de Sonntag. Tandis qu’elle faisait ce geste, son visage
exprimait tout le mépris qu’il lui inspirait. Interdit, Sonntag ne prononça pas
un mot, mais, à partir de ce moment, il poursuivit Milena d’une haine froide. Chose
surprenante, il ne l’expédia pas dans la prison du camp, comme il aurait
parfaitement pu le faire.
    *
    Certains prisonniers politiques, pour ne rien dire des
criminels et des asociaux, étaient de tels conformistes qu’ils travaillaient de
toutes leurs forces, s’éreintaient pour les SS. Il y avait ainsi une communiste
allemande qui s’occupait, à l’atelier de couture, de l’acheminement des
uniformes SS qui étaient terminés, de l’approvisionnement en étoffes et autres
équipements nécessaires au travail de l’atelier ; elle avait la
responsabilité de deux baraques où était stocké du matériel. Elle était chargée
de la surveillance d’une

Weitere Kostenlose Bücher