Moi, Claude
l’avoir vengé. On allait voter la proposition quand un de mes amis, un ancien consul, se leva pour faire un amendement. La proposition, dit-il, n’était pas régulière : on avait omis un nom important, celui du frère du héros, Claude, qui avait fait plus que quiconque pour préparer l’accusation et protéger les témoins.
Tibère se déclara surpris qu’on eût fait appel à moi – c’était peut-être pour cela, dit-il, que l’accusation manquait de clarté. J’avais, en effet, présidé la réunion des amis de mon frère et dissimulé jusqu’au jour du procès les témoins les plus importants dans une ferme voisine de ma villa de Capoue. J’avais aussi essayé de cacher Martine chez un marchand de Brindisi, mais Séjan l’avait découverte.
Finalement Tibère laissa mon nom figurer au vote de remerciements, mais c’était peu de chose pour moi auprès de la reconnaissance que me témoigna Agrippine.
— Je comprends maintenant, me dit-elle, ce que voulait dire Germanicus en me répétant, juste avant sa mort, qu’il n’avait pas de meilleur ami que son pauvre frère Claude.
L’opinion était si fort montée contre Livie que Tibère en prit prétexte pour ne pas réclamer au Sénat le titre qu’il lui avait promis si souvent. Tout le monde demandait ce que cela signifiait de voir une grand-mère recevoir gracieusement la meurtrière de son petit-fils et la soustraire à la vengeance du Sénat. Simplement que la grand-mère était elle-même l’instigatrice du meurtre, et puisqu’elle en éprouvait si peu de honte, la femme et les enfants de la victime ne lui survivraient pas longtemps.
21
Germanicus était mort, mais Tibère ne se sentait pas beaucoup plus en sécurité qu’auparavant. Séjan venait lui raconter ce que tel ou tel personnage avait murmuré contre lui pendant le procès de Pison. Au lieu de dire, comme il l’avait fait jadis de ses soldats : « Qu’ils me craignent, pourvu qu’ils m’obéissent ! » il disait maintenant à Séjan : « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ! » Trois chevaliers et deux sénateurs qui l’avaient critiqué plus ouvertement furent mis à mort sur l’accusation ridicule d’avoir manifesté de la joie en apprenant la mort de Germanicus. Leurs mouchards se partagèrent leurs biens.
Vers cette époque, le fils aîné de Germanicus, Néron {II} , atteignit sa majorité. Il ne semblait pas avoir hérité des talents militaires ou administratifs de son père, mais il avait sa belle prestance et sa douceur, et la ville attendait beaucoup de lui. De grandes réjouissances populaires accompagnèrent son mariage avec la fille de Castor et de Livilla, cette Julie qu’on surnomma d’abord Hélène à cause de sa grande beauté, puis Héluo, c’est-à-dire Gloutonne, parce qu’elle gâtait sa beauté en se gavant de nourriture. Néron était le favori d’Agrippine. La famille se divisait, ainsi que chez tous les Claudes, en bons et en mauvais – ou, comme disait la ballade, en pommes douces et en pommes aigres ; les aigres l’emportant sur les douces. Des neuf enfants qu’Agrippine avait donnés à Germanicus, trois étaient morts de bonne heure, deux filles et un garçon ; Auguste chérissait si fort ce dernier qu’il avait dans sa chambre son portrait en costume de Cupidon et l’embrassait tous les matins en sortant du lit. Parmi les survivants, Néron était le seul à avoir vraiment une bonne nature. Drusus était sombre, nerveux, facilement porté au mal ; Drusilla lui ressemblait ; Caligula, Agrippine et la petite Lesbie étaient foncièrement mauvais. Mais la ville jugeait la famille entière d’après Néron, qui seul était assez âgé pour faire sur le peuple une impression vive. Caligula n’avait encore que neuf ans.
Un jour que j’étais à Rome, Agrippine vint me trouver en grande détresse et me demanda conseil. Partout où elle allait, elle se sentait suivie et épiée, au point qu’elle en était malade. Séjan était-il le seul à avoir de l’influence sur Tibère ? Elle était sûre qu’il n’attendait qu’un prétexte pour la tuer ou la bannir. Je lui dis que je ne connaissais que deux personnes à avoir une bonne influence sur Tibère : l’une était Nerva et l’autre Vipsania. Pour cette dernière, Tibère n’avait jamais pu se détacher d’elle. Elle avait une petite-fille qui à quinze ans ressemblait d’une manière frappante à la jeune femme qu’elle
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