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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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la meilleure amie d’Agrippine, était accusée de complicité. Silius, en fait, était en disgrâce au palais depuis la révolte. On avait alors beaucoup reproché à Tibère de ne pas marcher lui-même contre les rebelles : une fois les Français battus, un sénateur mauvais plaisant, émule de Gallus, avait proposé par dérision de voter un triomphe à l’Empereur comme au vrai responsable de la victoire. Tibère, ulcéré, avait répondu que de toute manière cette victoire ne valait pas la peine qu’on en parlât, de sorte que personne n’avait osé voter à Silius les ornements triomphaux qu’il méritait si bien.
    Silius écouta les accusations en silence. Il avait bien levé un impôt sur quelques tribus en attendant l’allocation que lui promettait Tibère sur les fonds du Trésor. Mais l’allocation n’était jamais venue, et Silius ne pouvait pas même y faire allusion, la lettre où Tibère la lui promettait étant revêtue du sceau du Sphinx. À la fin, il éclata : « Seigneurs, je pourrais dire beaucoup de choses pour ma défense ; mais je n’en dirai aucune, car votre verdict est déjà prêt depuis longtemps. Je sais quel est mon véritable crime. Seigneurs, je suis la victime du plus avide, du plus sanguinaire, du plus tyrannique, du… » Le reste fut noyé dans les protestations horrifiées de la Chambre. Silius salua Tibère et sortit, la tête haute. En arrivant chez lui il embrassa Sosia et ses enfants, adressa un adieu affectueux à Agrippine, à Gallus et à ses autres amis, entra dans sa chambre et se plongea son épée dans la gorge.
    Ses insultes envers Tibère semblèrent une preuve suffisante de son crime. On confisqua la totalité de ses biens, en stipulant que l’impôt injustement levé serait remboursé aux provinciaux, et que les mouchards, comme le voulait la loi, recevraient le quart du reste. Les provinciaux n’osèrent pas réclamer leur dû et Tibère garda les trois quarts de la fortune, car il n’existait plus désormais aucune distinction entre le Trésor de l’armée, le Trésor public et la Cassette privée.
    À partir de ce moment Tibère, qui avait jusque-là réservé l’accusation de haute trahison aux blasphèmes contre Auguste, étendit le crime à tout ce qui touchait son propre honneur et sa propre réputation. Il accusa un sénateur, qu’il soupçonnait d’appartenir au parti d’Agrippine, d’avoir récité une épigramme ordurière dirigée contre lui. En réalité, la femme du sénateur, un matin, avait aperçu une feuille de papier apposée très haut contre la porte de la maison. Elle avait prié son mari, qui était plus grand qu’elle, de lui lire ce qu’il y avait d’écrit. Il avait épelé lentement :
     
    Ce n’est plus de vin qu’il s’enivre
    Comme jadis il s’est enivré ;
    Il se réchauffe à une coupe plus généreuse :
    Le sang des hommes assassinés.
     
    Elle demanda naïvement ce que cela voulait dire, et il répondit : « Ce n’est pas prudent de l’expliquer en public, ma chère amie. » Or l’épigramme était de Livie, et un mouchard se tenait près de la porte, dans l’espoir d’entendre quelque chose qui vaudrait la peine d’être rapporté à Séjan. Tibère interrogea lui-même le sénateur ; il lui demanda ce qu’il entendait par « pas prudent » et à qui, selon lui, l’épigramme faisait allusion. Le sénateur éluda la question. Tibère dit alors qu’on l’avait jadis taxé d’ivrognerie, mais qu’aujourd’hui ses médecins lui défendaient le vin – d’autre part des pamphlets récents l’avaient traité de sanguinaire. L’accusé ne le savait-il pas ? et l’épigramme pouvait-elle à son avis s’appliquer à un autre qu’à son Empereur ? Le malheureux avoua qu’il avait entendu parler jadis de la prétendue ivrognerie de Tibère, mais qu’il n’y avait jamais cru et n’avait d’ailleurs fait aucun rapprochement entre ces vieilles calomnies et l’épigramme de la porte. Pourquoi donc, lui demanda-t-on, n’avait-il pas rapporté ces vieilles calomnies au Sénat, comme c’était son devoir de le faire ? Il répondit qu’à cette époque ce n’était pas encore un crime que de répéter des grossièretés, fussent-elles dirigées contre Auguste lui-même, à condition de ne pas les publier par écrit. Tibère lui demanda de quelle époque il voulait parler. « C’était, répondit le sénateur, pendant ta troisième année de séjour à Rhodes. » Là-dessus

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