Moi, Claude
m’absente de la ville, passe encore – j’ai assez longtemps servi l’État de mon épée et de ma plume pour avoir besoin de repos. Mais mon fils a-t-il une autre excuse que son insolence ?
C’était très injuste. Castor avait été chargé de faire un rapport sur la défense des côtes, et n’ayant pu le terminer assez tôt, il avait préféré éviter la perte de temps d’un double voyage et rester sur place.
Presque aussitôt après son retour il tomba malade. Les symptômes étaient ceux d’une consomption rapide. Il pâlit, maigrit, commença à cracher le sang. Il écrivit à son père de venir le voir – il logeait à l’autre bout du palais – et le pria de lui pardonner s’il l’avait offensé en quelque manière. Séjan déconseilla à Tibère d’y aller : la maladie pouvait être réelle, mais c’était peut-être aussi une ruse pour l’assassiner. Tibère resta chez lui et quelques jours plus tard Castor mourut.
On ne le pleura pas beaucoup. Devant sa violence et sa réputation de cruauté, la ville s’était souvent demandé avec appréhension ce qui se passerait quand il succéderait à son père. On ne croyait guère à son récent amendement ; on pensait que c’était un stratagème pour gagner l’affection du peuple ; une fois à la place de son père il serait aussi mauvais que lui. Tandis que maintenant les fils de Germanicus grandissaient – Drusus venait aussi d’atteindre sa majorité – ils seraient sans conteste les héritiers de Tibère.
Le Sénat, par respect pour Tibère, pleura Castor aussi bruyamment qu’il put et lui vota les mêmes honneurs qu’à Germanicus. Tibère, lui, n’affecta pas la douleur et prononça d’une voix ferme et sonore le panégyrique qu’il avait préparé. En voyant des larmes rouler sur les joues de quelques sénateurs, il se pencha vers Séjan et remarqua à voix presque haute : « Pouah ! cela sent l’oignon ! » Quand il eut terminé, Gallus se leva et le félicita de la manière dont il surmontait son chagrin. Le Dieu Auguste lui-même, pendant sa vie mortelle, avait donné libre cours à sa douleur au moment de la mort de Marcellus (qui n’était pourtant que son fils adoptif) et en remerciant la Chambre de ses condoléances avait dû s’arrêter au beau milieu. Tandis que le discours qu’on venait d’entendre était un chef-d’œuvre de modération. J’ajoute ici que quatre ou cinq mois plus tard, des députés vinrent de Troie apporter des condoléances à Tibère pour la mort de son fils unique. Tibère les remercia : « Et je vous fais les miennes, messieurs, pour la mort d’Hector. »
Il envoya ensuite chercher Néron et Drusus, et les prenant par la main, il les présenta au Sénat. « Il y a trois ans, seigneurs, j’ai confié ces enfants orphelins à leur oncle : mon cher fils, que nous pleurons si amèrement aujourd’hui, désirait les adopter, bien qu’il eût lui-même des fils, et les élever en dignes héritiers de la tradition familiale. (Gallus : « Écoutez, écoutez ! » et applaudissements sur tous les bancs.) Mais puisqu’un sort cruel nous l’arrache (gémissements et lamentations) c’est à vous que je viens faire la même requête. Devant les dieux, devant votre pays bien-aimé, je confie à votre protection ces nobles arrière-petits-fils d’Auguste, issus d’ancêtres dont le nom est illustre dans notre histoire. Enfants, ces sénateurs sont maintenant vos pères, et votre naissance est telle que votre destinée, bonne ou mauvaise, dictera celle de l’État tout entier. » (Applaudissements bruyants, larmes, bénédictions, protestations de fidélité.)
Malheureusement, au lieu d’en rester là, il gâta tout l’effet de son discours en terminant par sa vieille rengaine sur le rétablissement de la République et le temps où « les consuls ou quelqu’un d’autre » ôteraient de ses « vieilles épaules » le « fardeau du gouvernement ». S’il ne voulait pas désigner Néron et Drusus comme les héritiers de l’Empire, que voulait-il dire en identifiant leurs destinées avec celle de l’État ?
Les funérailles de Castor furent moins émouvantes que celles de Germanicus, mais beaucoup plus magnifiques. Tous les masques des Césars et des Claudes y figurèrent, depuis ceux d’Énée, le fondateur de la famille Julia, et de Romulus, le fondateur de Rome, jusqu’à ceux de Caius, de Lucius et de Germanicus. Le masque de Jules César s’y
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