Moi, Claude
l’Empereur.
Une autre de mes remarques fortuites eut sur Caligula un effet inattendu. Quelqu’un ayant parlé par hasard de l’épilepsie, je racontai que les annales de Carthage faisaient d’Hannibal un épileptique, et qu’Alexandre et Jules César avaient été également sujets à ce mal mystérieux, qui semblait presque inévitablement lié au génie militaire. Caligula dressa l’oreille. Quelques jours plus tard il nous donnait en plein Sénat l’imitation parfaite d’une crise d’épilepsie, avec chute sur le sol, cris perçants, écume aux lèvres – de la mousse de savon, probablement.
Le peuple de Rome était encore assez heureux. Caligula donnait des représentations et des combats : il jetait de l’argent à la foule du haut de la tribune oratoire ou des fenêtres du palais. Peu lui importait, à elle, qu’il se mariât ou divorçât à son gré et mît à mort quelques courtisans. Caligula voulait voir toutes les places du théâtre ou du cirque occupées, et les couloirs combles ; aussi, les jours de spectacle, remettait-il tous les procès et suspendait-il tous les deuils, afin que personne n’eût d’excuse pour s’abstenir. Il avait fait aussi plusieurs innovations, comme de permettre d’apporter des coussins, de porter un chapeau de paille les jours de soleil et de venir pieds nus – même les sénateurs, qui étaient censés donner l’exemple de l’austérité.
Quand je pus enfin, pour la première fois depuis près d’un an, aller passer quelques jours à Capoue, la première question que me posa Calpurnia fut celle-ci :
— Combien reste-t-il des vingt millions, Claude, dans la cassette privée ?
— Moins de cinq, je pense. Il a construit des bateaux de plaisance en bois de cèdre, les a surchargés d’or, incrustés de pierreries, pourvus de bains et de jardins ; il a commencé soixante temples nouveaux et parle de creuser un canal à travers l’isthme de Corinthe. Il prend des bains de nard et d’huile de violettes. Il y a deux jours, il a donné vingt mille pièces d’or à Eutychus, le conducteur Vert Poireau, pour avoir gagné une course très disputée.
— Le Vert Poireau gagne toujours ?
— Toujours. Ou presque. L’autre jour l’Écarlate est arrivé premier et le peuple l’a acclamé. On commençait à en avoir assez de voir toujours ce Vert Poireau. L’Empereur était furieux. Le lendemain le conducteur Écarlate et l’attelage vainqueur étaient morts. Empoisonnés. Ce n’est pas la première fois que cela arrive.
— L’an prochain, à pareille époque, les choses iront mal pour toi, mon pauvre Claude. À propos, veux-tu voir tes comptes ? Comme je te l’ai écrit, c’est une mauvaise année. Le bétail mort, les vols, l’incendie des meules de blé… Tu perds au moins deux mille pièces d’or.
— Je n’y puis rien, répliquai-je. À vrai dire, en ce moment, je tremble plutôt pour ma vie que pour ma fortune.
— Te maltraite-t-on ?
— Oui. On se moque perpétuellement de moi – surtout l’Empereur.
— Que te fait-on ?
— Oh ! des farces. Des seaux d’eau suspendus au-dessus de ma porte ; des grenouilles dans mon lit, ou de dégoûtants mignons qui sentent la myrrhe. Tu connais mon horreur des grenouilles et des mignons. Si je viens à m’endormir après dîner on me bombarde de noyaux de dattes, on m’attache des souliers aux mains ou on me fait sonner l’avertisseur d’incendie dans les oreilles. Je n’ai jamais le temps de travailler. Si par hasard je m’y mets, on renverse l’encrier sur mon travail. Et on ne prend jamais au sérieux ce que je dis.
— Es-tu le seul souffre-douleur ?
— Le favori. L’officiel.
— Claude, tu as plus de chance que tu ne l’imagines. Garde ta place jalousement. Ne laisse personne te la prendre.
— Que veux-tu dire, enfant ?
— Je veux dire qu’on ne tue pas son souffre-douleur. On est cruel envers lui, on lui fait peur, on le dépouille – mais on ne le tue pas.
— Calpurnia, dis-je, tu es très intelligente. Maintenant écoute-moi : j’ai encore de l’argent ; je vais t’acheter une belle robe de soie, une boîte à cosmétiques en or, un singe apprivoisé et un paquet de tiges de cannelle.
Elle sourit.
— Je préférerais le cadeau en espèces. Combien avais-tu l’intention d’y mettre ?
— Environ sept cents.
— Très bien. Cela pourra servir un de ces jours. Merci, mon bon Claude.
En rentrant à Rome, j’appris
Weitere Kostenlose Bücher