Moi, Claude
mouchard, ou le mouchard d’un mouchard, ou le mouchard du mouchard d’un mouchard ? Plus on va, plus cela devient odieux. La meilleure défense est de ne leur donner aucune prise. Que chacun vive selon la stricte vertu, et leur race maudite s’éteindra faute de nourriture, comme les souris dans la cuisine d’un avare. » Cette saillie provoqua une tempête de rires. Plus une plaisanterie est simple et sotte, plus la foule l’apprécie. (J’ai obtenu à cet égard mon plus grand succès au cirque, un jour que j’y présidais en l’absence de Caligula. Le peuple réclamait avec colère un gladiateur appelé Pigeon qu’on avait annoncé, mais qui n’avait pas encore paru. « Patience, mes amis, leur dis-je. Attrapez le Pigeon d’abord : vous le plumerez après ! » Par contre, mes mots d’esprit vraiment spirituels ont été entièrement perdus pour eux.)
« Continuons les Jeux, mes amis », répétai-je. Cette fois les cris s’arrêtèrent. Les Jeux, par bonheur, étaient excellents. Deux gladiateurs s’entre-tuèrent de deux grands coups simultanés dans le ventre. Le cas est très rare : je demandai les deux armes et en fis faire de petits couteaux : ce sont les charmes les plus efficaces contre l’épilepsie. Caligula me saurait gré du cadeau – si toutefois il me pardonnait d’avoir réussi à apaiser la foule là où il avait échoué lui-même. Il avait eu si peur qu’il était sorti de Rome à toute bride dans la direction d’Antium et ne reparut pas de plusieurs jours.
Tout finit bien. Il fut enchanté de mon présent qui lui permit d’improviser sur la splendeur de son mal. Quand il me demanda ce qui s’était passé dans l’amphithéâtre, je répondis que j’avais menacé la foule de sa colère. « Oui, dit-il, je suis trop doux avec eux. Mais je suis décidé à ne plus céder d’un pouce. « Rigueur inébranlable » sera désormais le mot d’ordre. » Pour se remémorer sans cesse cette décision, il prit l’habitude de se faire chaque matin d’horribles grimaces dans le miroir de sa chambre à coucher et de pousser des cris terribles dans sa salle de bains, où il y avait un bel écho.
— Pourquoi, lui demandai-je, ne pas annoncer officiellement ta Divinité ? C’est le meilleur moyen d’imposer le respect et la crainte.
Il répondit :
— J’ai encore plusieurs mesures à prendre sous mon déguisement humain.
La première de ces mesures fut d’ordonner aux capitaines des ports d’Italie et de Sicile de retenir tous les vaisseaux au-dessus d’un certain tonnage, de mettre leurs cargaisons en réserve et de les envoyer à vide, sous le convoi de vaisseaux de guerre, jusqu’à la baie de Naples. Personne ne comprenait où il voulait en venir. On supposait qu’il formait le projet d’envahir la Bretagne et voulait utiliser ces bateaux comme transports de troupes. Pas le moins du monde. Il voulait simplement justifier la phrase de Thrasylle : « Il ne peut pas plus devenir Empereur qu’il ne peut traverser à cheval la baie de Baïes. »
Il réunit environ quatre mille vaisseaux, dont mille construits spécialement à cet effet, et les fit mettre à l’ancre dans la baie, travers contre travers, sur deux lignes, des docks de Pouzzoles à sa villa de Bauli. Les proues étaient tournées vers l’extérieur, les poupes attachées l’une à l’autre. Comme celles-ci étaient trop hautes pour ce qu’il voulait faire, il les nivela en coupant le siège du timonier et la figure de poupe, au grand désespoir des équipages, qui voyaient en cette figure la divinité tutélaire du bateau. Puis il fit poser des planches en travers et recouvrir ces planches de terre arrosée et tassée. Le résultat fut une large route solide, longue de quelque six mille pas. Ensuite, comme de nouveaux bateaux venaient d’arriver d’Orient, il les fit attacher ensemble pour en former cinq îles qu’il fixa à la route. Celle-ci fut bordée de boutiques, que la municipalité de Rome dut fournir de marchandises et de personnel. Quant aux îles, Caligula les transforma en villages. Il y installa des conduites d’eau potable et y planta des jardins.
Heureusement, pendant tous ces préparatifs, le temps resta au beau et la mer calme comme un lac. Quand tout fut prêt, Caligula revêtit la cuirasse d’Alexandre (car Auguste n’était pas digne de porter l’anneau d’Alexandre, mais Caligula portait sa cuirasse !) – il la recouvrit d’un manteau de soie
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