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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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de moi parce que je suis bègue, infirme et souvent malade, aussi vais-je très peu dans le monde.
    — Mais de là à être idiot ! Tu es un des jeunes gens les plus intelligents que j’aie rencontrés depuis des années.
    — Tu es bien bon, seigneur.
    — Pas du tout. Bon Dieu, comme tu as bien cloué ce vieux Tite-Live à propos de Lars Porsenna ! Tite-Live n’a pas de conscience, voilà la vérité. Je l’ai souvent pris sur le fait. Un jour je lui ai demandé s’il avait toujours autant de mal que moi à dénicher la tablette de cuivre dont il a besoin dans le fouillis des archives publiques. « Oh ! pas du tout », m’a-t-il répondu. Figure-toi qu’il n’y avait jamais mis les pieds ! Mais dis-moi, pourquoi lisais-tu mon Histoire ?
    — Je lisais ton siège de Pérouse. Mon grand-père – tu sais, le premier mari de Livie – s’y trouvait. Je réunis des matériaux pour écrire l’histoire de mon père : mon précepteur Athénodore m’a renvoyé à ton livre en me disant que c’était un ouvrage sérieux. Mon ancien maître, Marcus Porcius Caton, m’avait dit que c’était un tissu de mensonges, ce qui me disposait d’autant plus à croire Athénodore.
    — Oui, mon livre ne doit pas plaire à Caton. Les Catons combattaient du mauvais côté, et j’ai contribué à chasser son grand-père de Sicile. Mais tu es, il me semble, le premier historien jeune que j’aie jamais rencontré. L’histoire est un amusement de vieillard. Quand te mettras-tu à gagner des batailles comme ton père et ton grand-père ?
    — Peut-être quand je serai vieux.
    Il se mit à rire.
    — Je ne vois pas pourquoi un historien versé dans l’étude de la tactique ne ferait pas un chef invincible, à condition d’avoir du courage et de bonnes troupes…
    — Et de bons officiers, interrompis-je, pensant à Cléon.
    — Et de bons officiers, naturellement – même s’il n’avait jamais porté l’épée ou le bouclier de sa vie.
    Je m’enhardis alors jusqu’à lui demander pourquoi on l’appelait souvent « le dernier Romain ». Cela parut lui faire plaisir : il répondit :
    — C’est Auguste qui m’a donné ce titre, quand il m’a invité à me joindre à lui pour combattre ton grand-père Antoine. Je lui demandai pour qui il me prenait – Antoine avait été un de mes meilleurs amis.
    « Asinius Pollion, me dit-il, je crois que tu es vraiment le dernier Romain. Cet assassin de Cassius ne mérite pas un pareil titre !
    « Si je le suis, répondis-je, à qui la faute ? Et à qui la faute aussi, quand tu auras abattu Antoine, si personne que moi n’ose lever la tête en ta présence ou parler devant toi autrement qu’à son tour ?
    « Ce ne sera pas la mienne, Asinius, dit-il sur un ton d’excuse. Ce n’est pas moi qui ai déclaré la guerre, c’est Antoine. Aussitôt qu’il sera vaincu, naturellement, je rétablirai la République.
    « Si la noble Livie n’y met pas son veto, répondis-je.
    Ensuite le vieillard me prit par les épaules.
    — À ce propos, Claude, je vais te dire quelque chose. Je suis très vieux, et quoique je semble encore dispos, je touche à ma fin. Dans trois jours je serai mort, je le sais. À l’approche de la mort on devient étrangement lucide. Écoute-moi. Désires-tu avoir une vie longue et bien remplie, avec des honneurs à la fin ?
    — Oui.
    — Eh bien, exagère ta claudication, bégaie exprès, fais souvent semblant d’être malade, laisse errer ton esprit, branle la tête et tords-toi les mains dans toutes les occasions publiques ou semi-publiques. Si tu voyais ce que je vois, tu comprendrais que c’est ta seule chance de salut et peut-être de gloire.
    Je répondis :
    — L’histoire de Brutus – du premier Brutus – que rapporte Tite-Live, est peut-être inexacte, mais elle est juste. Lui aussi a fait semblant d’être idiot, pour mieux rétablir les libertés du peuple.
    — Que dis-tu ? les libertés du peuple ? Tu y crois donc ? Je pensais que la jeune génération avait oublié jusqu’à leur nom.
    — Mon père et mon grand-père y croyaient tous les deux…
    — Oui, interrompit brusquement Pollion – et c’est de cela qu’ils sont morts.
    — Que veux-tu dire ?
    — Je veux dire que c’est pour cela qu’ils ont été empoisonnés.
    — Empoisonnés ! Par qui ?
    — Chut ! pas si haut, mon garçon. Je ne dirai pas de noms. Mais je vais te prouver que je ne répète pas simplement des

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