Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Wiazemsky
Vom Netzwerk:
avec le plateau qu’elle pose sur le lit. Elle sert trois tasses de thé et en apporte une à Claire. Celle-ci lui adresse un sourire reconnaissant. Rolanne est la seule qui ne se moque pas de ces moments mystérieux de tristesse qui soudain l’assombrissent ; qui ne pose pas de question mais qui sait lui signifier d’un regard, d’une pression de la main, sa présence à ses côtés. Elle semble comprendre que Claire ne peut pas grand-chose contre ces états, elle ne la juge pas.
    — On est invitées à dîner chez les officiers anglais, annonce Mistou. On y va ? La bouffe est infecte mais, après, on dansera. Eh, vous me répondez, les filles ?
     
    « 24 octobre 1945
    Chère petite maman,
    Cette fois-ci, je crois que nous allons rester. Cela m’ennuie uniquement à cause de vous car je me demande presque avec angoisse ce que je ferais à Paris. Il me faudrait revoir certainement Patrice et je ne m’en sens pas le courage. Je n’ai aucune nouvelle de lui et je n’ose, même lorsque je suis toute seule avec moi-même, y penser. J’ai écrit l’autre jour un petit mot à sa mère.
    Ici, je mène une vie en dehors de la vie. Il en est ainsi depuis plusieurs années déjà. Je crois toujours que c’est la fin et cela ne l’est jamais.
    Je ne sais que penser pour le temps qu’il me reste à vivre.
    Il ne faut pas croire que je suis triste. J’aime la vie que je mène justement parce que je sais qu’elle ne durera pas toujours.
    J’ai reçu les gants et le reste du paquet. Merci mille fois.
    Je me suis fait photographier par un très bon photographe.
    Ma maman, je vous embrasse de toutes mes forces. »
     
    Claire écrit sur un coin de table, dans la cuisine de leur immeuble. Près d’elle, deux ambulancières de la Croix-Rouge belge s’affairent à préparer des cocktails très alcoolisés en devisant bruyamment. Elles goûtent les boissons de plus en plus souvent, sont un peu ivres, mais Claire les ignore. Ce qu’elle vient d’écrire à sa mère l’étonne. Il lui semble ne s’être jamais confiée avec autant de simplicité comme si elle avait enfin trouvé les mots pour exprimer à la fois ses craintes et ce qui lui convient dans sa vie actuelle, une vie provisoire, comme suspendue dans le temps. Car c’est bien de cela dont il s’agit. Elle a peur de rentrer à Paris. Peur de s’enfoncer de façon définitive dans une vie tracée d’avance. Peu importe au fond, Patrice. Claire pense avec une lucidité froide qu’elle est destinée à se marier, à épouser un homme dans le genre de Patrice. Elle imagine ses futurs enfants, les visites régulières à ses parents, les vacances dans leurs propriétés de campagne. Elle sait maintenant que la guerre lui a permis d’échapper à cet engrenage, qu’elle a besoin de se sentir utile, peut-être même indispensable. À Caen, puis à Béziers, Fréjus, Cannes et maintenant à Berlin, elle se sent exister. Aux yeux de tous, elle est Claire Mauriac et non la fille de, ou la fiancée de.
    — Pouah, mais ça empeste l’alcool ici !
    La nouvelle venue dans la cuisine est une jeune femme d’un mètre cinquante, au visage rond et au front bombé, promue depuis peu chef de la section de la Croix-Rouge française à Berlin. Elle mène son petit monde avec une énergie et une efficacité qui font l’admiration de tous, à commencer par les officiers du deuxième étage. Elle s’appelle Jeanine. À cause de sa taille et de sa minceur, tous les habitants du 96 Kurfürstendamm l’ont surnommée « Plumette ».
    Les deux infirmières belges tentent d’expliquer la préparation des cocktails, mais Plumette ne les laisse pas poursuivre.
    — On annonce l’arrivée d’un convoi d’Alsaciens et de Lorrains, ce serait bête que vous vous soûliez maintenant.
    Et à Claire :
    — Prépare l’ambulance avec tout le matériel. Tu repars à la gare avec Mistou.

 
    Lettres de Claire :
     
    « 2 novembre 1945
    Chère maman,
    Le paquet n’est pas arrivé car il n’y a pas eu d’avion vu le mauvais temps à Paris.
    Ici, le ciel est tout bleu et il ne fait pas froid.
    Je suis revenue hier d’une tournée de trois jours. Rien d’extraordinaire à raconter. Si ce n’est que nous n’avons rapporté que des actes de décès, tous nos malades étant morts. À Halle, nous avons découvert un cimetière où un Allemand a enterré chaque jour pendant trois ans vingt cadavres décapités à la hache : Français, Belges, etc.
    Nous avons

Weitere Kostenlose Bücher