Mon frère le vent
chasser ses rêves. Elle était enfant dans l'ulaq de son père. Elle sentait les nattes de couchage contre sa joue, sentait la lourde odeur de la viande qui cuit, entendait une voix d'homme.
Elle frissonna et essaya de se rendormir. Mais non, si son père était réveillé, elle allait sûrement recevoir une correction. Elle aurait dû être levée depuis longtemps. Elle aurait dû sortir les paniers de nuit et rapporter de l'eau, épointer les mèches des lampes à huile et se tenir prête à aider sa mère dans la préparation des repas de ce nouveau jour. Elle se recroquevilla à la pensée de la canne de son père s'abattant avec force sur son dos.
Elle tendit un bras hors des couvertures pour trouver son suk, n'importe quoi qui protège sa peau, mais sa main ne rencontra rien, pas même la dureté et la froideur des murs de terre et de pierre de l'ulaq. Elle ouvrit les yeux et essaya de s'asseoir mais les muscles de ses membres brûlaient de douleur et elle sentit la douleur familière de ses seins trop pleins.
— Shuku, murmura-t-elle.
Puis la peur lui noua la gorge.
Non, elle n'était pas dans l'ulaq de son père, pas même dans une demeure Morse. Ses bras et ses jambes lui faisaient mal comme si son père l'avait battue.
Où suis-je ? Où est Shuku ? Puis elle se rappela le flétan, la plage. Comment ai-je pu être assez sotte pour m'endormir quand Shuku est impuissant contre la marée ?
Se trouvait-elle désormais dans quelque monde d'esprit ? Si oui, elle devait trouver Shuku afin qu'ils puissent cheminer ensemble vers les Lumières Dansantes. Elle s'assit sur son séant, serra les dents pour refouler la douleur et s'adressa à la frayeur qui hantait ses pensées : Si je suis morte, pourquoi ai-je mal ? Si je suis morte, pourquoi suis-je à l'intérieur d'une demeure et non pas dehors dans le vent et la mer ?
Elle songea aux ulas funéraires, aux morts dont on attachait les jambes à la poitrine avant de les envelopper dans les nattes d'herbe. L'effroi revint. Peut-être était-elle dans l'ulaq des morts d'un autre village, un peuple inconnu, aux traditions différentes de celles des Premiers Hommes.
Réussissant à se mettre à quatre pattes, elle rampa dans l'obscurité, tendant les mains pour toucher les murs au fur et à mesure, jusqu'à ce que ses mains trouvent un rideau d'herbe tissée. Elle écarta le rideau, écar-quilla les yeux et vit une grande pièce où vacillait une faible lumière dans le coin le plus reculé. Tout près, une femme et un homme parlaient. La femme nourrissait un bébé.
— Shuku ? dit Kiin.
Mais elle avait la gorge rauque et les mots ne furent qu'un raclement ténu.
La femme leva les yeux et se leva, sans cesser de nourrir l'enfant.
— Bébé, dit-elle en langue Morse en tendant l'enfant vers Kiin.
Kiin se mit à genoux, puis debout et fit quelques pas tremblants. La femme se hâta près d'elle, le petit dans un bras.
Kiin saisit la femme par l'épaule et, retenant son souffle, posa les yeux sur le bébé. En un cri joyeux, elle s'exclama :
— Shuku !
Tétant paupières closes, Shuku sursauta, tourna la tête et lâcha le sein de la femme pour tendre les bras à sa mère. Les jambes de Kiin ne la portaient plus. Elle s'affaissa sur le sol et s'assit en tailleur à la manière du Peuple Morse. La femme s'adressa à l'homme qui quitta l'ulaq. Puis elle posa Shuku sur les genoux de Kiin. Shuku serra ses bras autour du cou de sa mère et se hissa sur ses pieds. Il se tint ferme et chanta un chant de mots d'enfant entrecoupés de petites respirations.
Kiin leva les yeux sur la femme, pressa les lèvres pour retenir ses larmes.
— Merci, dit-elle en langue Morse.
La femme sourit et, désignant Shuku, dit :
— II... il...
Elle s'interrompit et ses doigts coururent le long de ses joues pour désigner des larmes.
— Je... euh... je.
Son visage se plissait de concentration et elle finit par désigner sa poitrine, le téton encore rose et étiré d'avoir été tété.
— Je, moi ai fait, acheva-t-elle en un sourire.
— Merci, répéta Kiin.
Alors, pour la première fois, elle remarqua le tissage du tablier d'herbe de la femme. Kiin sourit et, passant à la langue des Premiers Hommes, demanda :
— Tu es des Premiers Hommes ?
La femme esquissa un sourire étonné.
— Mon nom est Petite Plante. N'es-tu pas Morse ? demanda-t-elle en parlant clairement la langue des Premiers Hommes, et désignant les vêtements de Kiin — le parka des
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