Mon frère le vent
bol vide, Waxtal demanda :
— Ton mari a été tué à la chasse ?
— Oui.
— Es-tu prête à être femme de nouveau ?
Voyant qu'elle ne répondait pas, il demanda :
— Depuis quand est-il mort ?
— Plus d'un an.
— Assez longtemps.
Waxtal se leva et lui tendit la main. Ses doigts étaient vieux, ses jointures enflées, mais en esprit Kukutux vit cette main refermée sur une canne, les doigts serrés tandis qu'il la frappait.
— As-tu une autre épouse ? s'enquit-elle en se relevant sans s'occuper de la main tendue.
— Elle est morte.
— Nous sommes tous deux en deuil.
— Ta vie ne sera pas si terrible, fit Waxtal en désignant toutes les marchandises de troc.
— Ce n'est pas à moi.
— Tu es une femme. Quelle femme en espère autant ? s'exclama-t-il en riant. Mais comme tu es mon épouse je vais te donner quelque chose. Choisis.
— N'importe quoi ?
— N'importe quoi.
Kukutux contempla longuement les fourrures et les peaux, la viande et l'huile. Finalement, elle désigna, sur la poitrine de Waxtal, le collier de pierres bleues que Hibou lui avait donné.
— Ça.
Waxtal plissa les yeux, hésita, puis ôta le collier et le lui tendit. Après quoi elle le suivit dans sa chambre à coucher.
62
Péninsule d'Alaska
Kiin pela l'œuf qu'il tendit à Shuku. Il fit la moue et détourna le visage.
— C'est mieux que rien, lui dit sa mère.
Mais elle sentit l'œuf et comprit son refiis. Trop de jours avaient passé depuis qu'elle avait ramassé et durci les œufs. La moisissure décolorait le blanc et commençait à s'attaquer au jaune.
Avec un soupir, Kiin porta le regard vers la mer du Nord. Elle allait pêcher. À cet endroit, le rivage plongeait dans la mer. À l'aide d'une ligne à main, elle pourrait attraper des menhadens ou même une morue. Elle leva les yeux au ciel pour vérifier la position du soleil. Mieux valait attendre la marée basse, songea-t-elle, et ramasser des oursins ou des clams. Elle se libéra de son panier à porter et s'assit, refusant de penser qu'elle s'était dit la même chose la veille et n'avait rien fait.
Voilà deux mois qu'elle avançait à allure régulière et elle devait avoir parcouru plus de la moitié du chemin. Si elle pouvait s'obliger à continuer ainsi, dans moins de deux lunes elle serait à l'entrée de la baie des Commerçants. Il ne lui resterait alors qu'à s'asseoir et attendre qu'un chasseur Premiers Hommes la trouve.
Depuis sa chute, les mains de Kiin avaient eu le temps de guérir ; il restait seulement de petites cicatrices roses sur sa peau brune. Le bout de ses doigts était encore fragile à l'endroit où les ongles avaient été arrachés, mais elle constatait déjà la fine bordure de la repousse. Afin d'en protéger l'extrémité, elle s'était sculpté des ongles en bois qu'elle fixait chaque jour pour protéger la peau fragile.
Mais chaque jour, la marche était plus difficile. Des lignes rouges et douloureuses partaient des entailles de ses pieds jusqu'à ses genoux.
Tous les matins, Kiin s'enveloppait les pieds de bandelettes de peau de phoque avant d'enfiler ses bottes. Tous les soirs, elle libérait ses pieds qu'elle lavait à l'eau de mer. Mais chaque jour, elle devait s'arrêter un peu plus tôt et s'accorder davantage de repos. Deux jours auparavant, elle avait tout juste atteint la colline suivante où elle était restée, ne se rendant qu'une fois sur la plage pour ramasser quelques morceaux de bois flotté venus de la mer du Nord, ainsi que quelques clams. La veille, elle n'avait rien fait.
Fouillant son sac posé près d'elle dans les roseaux des sables, elle trouva le ventre de phoque dans lequel elle remisait ses provisions. S'il avait un temps regorgé de poissons, il était désormais vide et plat. Trois morceaux de poisson pendaient à l'extérieur du panier.
— Trois morceaux, dit Kiin qui perçut le danger de ses propos.
Elle tendit un bout à Shuku. Il faudrait que je mange, pensa-t-elle. Mais elle n'avait pas faim. Son visage était chaud malgré le vent glacé et ses yeux semblaient voir trop et trop vite, provoquant des battements dans ses tempes et des douleurs dans son ventre.
— Je vais pêcher, dit-elle à Shuku.
Elle tira une ligne de varech de son panier et la fixa à un hameçon taillé dans une coquille de clam. Elle noua la ligne puis, prise de nausée, elle ferma les yeux.
Après s'être reposée un moment, elle rompit un bout de poisson restant qu'elle noua à
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