Mon frère le vent
père de Petite Plante. Tandis que Petite Plante babillait, Kiin en vint à comprendre que celle-ci avait quelque chose d'important à lui dire.
Cela faisait toujours sourire Kiin d'entendre les chasseurs parler d'abord du temps et de la chasse avant d'évoquer ce qui leur tenait vraiment à cœur. Elle constatait qu'il en allait de même avec les femmes. Leurs histoires parlaient peut-être de baies et de préparation de repas, d'autres femmes et de ce qu'elles disaient, mais cela revenait au même. Aussi Kiin referma-t-elle ses mains sur Shuku et s'obligea-t-elle à écouter avec politesse jusqu'à ce que Petite Plante soit prête à aborder le vrai sujet.
Des interrogations surgirent dans l'esprit de Kiin et elle avait du mal à tenir en place. Aigle, l'époux de Petite Plante, l'avait trouvée. Espérait-il quelque chose en échange de les avoir sauvés, elle et Shuku ? Qu'avait-elle à donner? Petite Plante n'avait touché mot du panier à sculpter de Kiin. Était-il perdu ? Il contenait pourtant tous ses outils.
Petite Plante acheva de raconter comment une bagarre entre leurs enfants avait tourné en querelle entre les deux femmes. Puis elle ajouta :
— Aigle, mon époux, t'a trouvée. Pour l'instant, il est sorti avec son ikyak chasser le phoque, mais il compte te parler dès son retour.
Petite Plante détourna les yeux, refusant d'affronter ceux de Kiin. L'inquiétude commença à vriller le ventre de Kiin.
Aigle revint le soir même, une fois allumée la deuxième lampe, une fois que Petite Plante et Kiin eurent rangé la nourriture et ôté la peau de cuisson de sa place au-dessus de la plus grosse lampe pour l'accrocher à un chevron près du mur du fond.
L'homme était grand et fort, avec des mains de la taille d'un crâne de phoque. Il avait le visage plat et creusé en son milieu de sorte que le bout de son nez était au même niveau que ses orbites. Sa peau était noire de suie. Son suk était de bonne facture, avec des peaux de macareux et des peaux de fourrure de phoque, mais il puait la moisissure au point que Kiin respira à petites goulées par la bouche pour empêcher l'odeur d'atteindre son nez.
— Je vous ai trouvés, toi et ton fils, dit-il sans politesse.
— Merci.
— J'ai ton paquet.
Kiin hocha la tête. Elle regarda à l'autre bout de la pièce et vit que Petite Plante berçait Shuku sur ses
genoux. Shuku geignait et s'énervait ; il avait faim. Petite Plante le posa sur le dos et l'installa près de son sein gauche.
— Je vais le nourrir, proposa Kiin.
Mais Petite Plante fit comme si elle n'avait pas entendu et Aigle intervint :
— Du lait est du lait. Peu importe quelle femme nourrit cet enfant. Il appartient aux deux.
Ses mots résonnèrent comme une claque. Kiin ouvrit la bouche mais fut incapable de prononcer le moindre mot.
— Je t'ai trouvée. Si tu n'as pas de mari, tu es à moi, dit Aigle.
« Aigle ! fit son esprit rageur. Qui songerait à donner pareil nom à un homme aussi lent et sale ? » Mais Kiin secoua la tête jusqu'à n'entendre que les mots clairs et forts de ses propres pensées.
— Je voyageais sans mon mari, dit-elle.
— Seule ? s'étonna Aigle, les lèvres humides.
— Oui.
— Comment une femme peut-elle voyager sans homme pour la protéger contre les esprits ?
— Je suis chamane, répondit-elle.
Les mots, comme des couteaux tranchants, envoyèrent une douleur au creux de sa poitrine. Son esprit se rebella contre ce mensonge et Kiin dut serrer les dents pour s'empêcher de hurler.
A ces mots, Shuku poussa un cri strident et Kiin bondit sur ses pieds, la frayeur lui coupant le souffle. Les esprits pourraient la punir de ce mensonge, mais s'en prendraient-ils aussi à son enfant ?
Sans un regard pour Aigle, elle se rendit près de Petite Plante, prit Shuku qu'elle serra, sanglotant, contre sa poitrine.
— Il m'a mordue, alors je l'ai pincé, expliqua Petite Plante tranquillement et sans colère.
La peur abandonna Kiin qui sourit devant l'air inquiet de la jeune femme. Portant Shuku à bout de bras, elle dit à Petite Plante :
— Il est assez grand pour savoir à quoi s'en tenir. Non ! Non ! Ne mords pas, ajouta-t-elle pour son fils.
Shuku leva un sourcil et ressembla tant à son père Amgigh que Kiin le serra de nouveau contre elle, chaud au creux de sa joue.
Alors Aigle vint près d'elle et la fit asseoir à côté de Petite Plante.
— Tu as un mari ? dit-il à Kiin comme si la conversation n'avait pas été
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