Mon frère le vent
connaissons presque tout ce qui concerne la chasse. Les femmes connaissent presque tout ce qui concerne la nourriture. Pourquoi prendrais-je des décisions sans faire appel à tout le savoir dont je dispose ? Alors dites-moi, demanda-t-il aux femmes, combien de nourriture possédons-nous ?
Mais Waxtal fit la moue.
— Aux femmes ? Tu demandes aux femmes ? Depuis quand les femmes ont-elles la moindre sagesse ?
Samig fit semblant de ne rien entendre et écouta Nez Crochu — l'épouse de Longues Dents — et Chagak donner l'état de leur stock. Puis vint le tour de Trois Poissons, qui évoqua la cache d'œufs faite par Kiin au printemps, des œufs enfouis dans le sable bien au-des-sus de la ligne de marée.
— Tu as vu les œufs ? demanda Waxtal.
Samig retint son souffle, craignant que Trois Poissons ne dévoile la cachette à l'homme. Mais elle se contenta de hocher la tête et de baisser les yeux à la manière des Premiers Hommes, puis elle regarda avec malice entre ses cils pour montrer à Samig qu'elle avait saisi ses craintes.
— Coquille Bleue, et ta réserve de nourriture ? s'en-quit Samig.
Avant qu'elle ait le temps de répondre, Waxtal hurla.
— Nous n'avons rien. Cette femme est paresseuse. Elle ne pêche pas assez. Elle ne dresse pas suffisamment de pièges à oiseaux.
Samig eut le visage chauffé par la colère, mais Longues Dents intervint prestement.
— Ainsi, Waxtal, tu n'as pas de nourriture à partager. Pourtant, tu attends que nous partagions avec toi.
Waxtal se leva, leva sa canne qu'il ne quittait jamais et en menaça Coquille Bleue.
— C'est elle qui ne devrait rien manger.
— Ah oui, dit Kayugh. C'est elle qui reste assise toute la journée à sculpter et ne sort pas avec les chasseurs de phoques. C'est elle qui mange dans l'ulaq des autres hommes et n'invite jamais personne à manger chez elle.
Waxtal pinça les lèvres. Sa fine barbichette trembla sous son menton. Il traversa le cercle des hommes, se plantant avec grossièreté entre eux et la lumière. Il saisit Coquille Bleue par les cheveux et la hissa debout. Samig se leva d'un bond mais son père le retint.
— Attends.
Le calme de la voix de Kayugh résonna dans tout l'ulaq.
Coquille Bleue saisit le poignet de son mari, le tordit pour l'amener à sa bouche et mordit. Waxtal se dégagea vivement s'apprêtant à frapper. Mais Coquille Bleue lui bloqua le bras.
— Ne me touche pas, ragea-t-elle. Rien ne m'empêchera de dire à Samig ce qu'il doit savoir. Sans compter les poissons que j'ai attrapés aujourd'hui, ajouta-t-elle à l'adresse de ce dernier, nous disposons de quatre peaux de phoque de graisse et de deux ventres de lion de mer d'huile clarifiée. Nous avons trois ventres de poisson séché et une peau de phoque de macareux, le tout plein à craquer. A quoi il faut ajouter mes trois paniers de bulbes de pourpier et un peu de viande de phoque séchée.
Samig ferma les yeux de désespoir. Waxtal possédait suffisamment d'huile pour presque deux lunes. Cet homme pensait-il pouvoir vivre éternellement de la chasse des autres ? Il coula un regard à Kayugh qui regardait obstinément ses pieds.
— Bien, intervint Longues Dents. Nous devons donc chasser.
— Je chasse, dit Waxtal. J'aurais autant de nourriture que les autres dans ma réserve si ma femme ne gaspillait pas de la sorte.
Coquille Bleue se mit à rire. Waxtal leva sa canne mais la femme passa devant lui et quitta l'ulaq sans un regard en arrière.
Le lendemain, Samig envoya Premier Flocon et Petit Couteau chasser le phoque et la loutre — tout ce qu'ils pourraient trouver dans les anses de la baie. Il demanda à Kayugh et à Longues Dents s'ils accepteraient d'aller dans les terres chasser le caribou.
— L'été dernier, les commerçants nous ont dit que des caribous vivaient dans la toundra à un ou deux jours de marche de cette plage, rappela-t-il aux hommes. Nous n'avons jamais chassé le caribou mais...
Il s'interrompit en voyant une lueur dans les yeux de son père.
— Une fois, quand j'étais enfant, mon père m'a emmené chasser le caribou, observa Kayugh. Je suis prêt à tenter le coup.
— Si tu veux, emmène Waxtal, suggéra Samig qui sourit devant la grimace de son père.
Ce matin, pourtant, comme tous les hommes quittaient le village, Waxtal était en compagnie de Kayugh et de Longues Dents, tous trois armés de lances et équipés de bottes en nageoire de phoque, marchant en direction des montagnes.
Les femmes
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