Mon frère le vent
il aurait passé une journée à geler dans son ikyak sans rien trouver de mieux qu'ici.
En l'occurrence, il avait longé l'anse si longtemps que lorsqu'il leva les yeux, il vit le dessin de la plage de sable sur le gris des nuages. Il se frotta les yeux puis balaya du regard la surface de la baie.
D'abord, il crut distinguer l'ikyak de Samig. Depuis des jours et des jours, Samig s'exerçait à lancer le javelot et, ce matin, Waxtal l'avait vu sortir et viser sans cesse une vessie de phoque gonflée.
Waxtal l'avait observé en riant. Samig s'imaginait-il que les animaux de mer s'offriraient à un chasseur difforme ? Il ferait mieux d'aller ramasser des baies en compagnie des femmes.
Waxtal se laissa un moment aller à imaginer le plaisir que Qakan aurait eu au spectacle de la maladresse de Samig. Mais Qakan était mort, tué par le Corbeau, le mari de Kiin. Waxtal soupira. N'existait-il plus d'honneur à présent, qu'un homme en vienne à tuer le frère de sa femme ?
Waxtal s'arrêta et se tourna vers l'eau dans l'espoir de voir Samig faire un piètre lancer ou même faire chavirer son embarcation. C'est alors qu'il s'aperçut qu'il s'agissait en réalité d'un ik mené par deux hommes. Waxtal attendit, les mains serrées sur sa canne, que l'embarcation soit suffisamment proche pour distinguer les marques sur la proue : les lignes jaunes et les cercles rouges d'un ik de commerçant. L'excitation gonfla la poitrine de Waxtal, gonfla ses côtes et son ventre comme s'il avait avalé une grande goulée d'air.
Il courut chez Kayugh, grimpa sur le toit gazonné et appela par le trou de fumée.
— Kayugh, il y a des commerçants !
Kayugh sortit, protégea ses yeux de ses mains et scruta le rivage.
— Des commerçants, à cette époque de l'année ?
Waxtal haussa les épaules.
— Va chercher Longues Dents et trouve Samig.
Waxtal fit la moue. Qui était Kayugh pour lui donner
des ordres ? Au lieu de quoi il se rendit donc sur la plage, fit signe aux commerçants jusqu'à ce qu'ils le suivent à l'endroit où les vagues mouraient doucement pour permettre un accostage en douceur.
— Commerçants ? appela-t-il en s'avançant dans l'eau pour les aider.
A peine plus âgés que des garçons, les hommes se ressemblaient comme des frères.
— Oui, nous sommes des commerçants, dit celui qui était à la proue.
Ses paroles venaient du fond de sa gorge comme les Chasseurs de Morses, mais il s'exprimait dans la langue des Premiers Hommes.
Les deux commerçants sautèrent dans l'eau et tirèrent l'embarcation à terre. Une fois l'ik hors d'atteinte des vagues, Waxtal leva les mains, paumes levées, en salut traditionnel.
— Je suis un ami. Je n'ai pas de couteau.
Hochant la tête, les commerçants saluèrent de même.
Waxtal jeta un regard en arrière en direction des ulas et vit Kayugh approcher avec Longues Dents et Premier Flocon. Il pointa le menton dans leur direction.
— Ce sont de bons chasseurs. Je suis chef chasseur et chaman, ajouta-t-il en lissant son suk. Bienvenue dans notre village.
Chagak fronça les sourcils en voyant Waxtal assis à la place d'honneur entre les commerçants, mais elle dissimula son irritation en s'affairant à la préparation du repas.
Une fois achevées les politesses de présentation, les commerçants ôtèrent leur parka et, entendant Trois Poissons réprimer un cri, Chagak se retourna pour constater que les deux hommes portaient de nombreux colliers. L'enchevêtrement de griffes d'ours, de coquillages, de perles d'os et de dents de phoque conduisit Chagak à se demander comment les hommes parvenaient à se tenir droits sous un tel poids.
Cependant, songea-t-elle ensuite, il y a de la sagesse à porter sur soi ce que l'on a à proposer. Comment savoir ce dont on a envie si l'on ignore ce qu'on pourrait avoir ?
Dans l'ulaq de Kayugh, les femmes servirent un véritable festin. Chagak tenta d'oublier que les réserves étaient vides. Quelle famille refuserait de nourrir des invités ? Quel chasseur ne partagerait les cadeaux reçus de sa lance ?
Tandis que les hommes se restauraient, Chagak nourrit Mésange des restes de viande et de baies séchées, de petits bouts non présentables à ses invités. Tout en donnant à manger à sa fille, elle observait les commerçants. Ils étaient jeunes, avec des visages étroits, des pieds et des mains petits. Ils portaient des jambières de fourrure et des parkas à capuchon comme les Chasseurs de Morses et les mots
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