Mon frère le vent
train de courir, puis jeune homme, la tête penchée sur les magnifiques pointes qu'il taillait. En cet instant, elle éprouva la perte des pointes de harpon plus durement que celle de tant d'huile.
Les hommes rentrèrent ce jour-là. Après avoir parlé à Chagak, Kayugh chercha Samig et son fils Petit Couteau, Longues Dents et son fils Premier Flocon. Si peu de chasseurs pour un village, songea Kayugh. Et voilà qu'ils seraient désormais privés de Waxtal. Mais comment lui permettre de rester dans un village où il avait volé l'huile d'un autre ? C'est alors qu'il se rappela les paroles de Longues Dents : « Waxtal mange plus qu'il ne rapporte. »
— Et Coquille Bleue ? s'enquit Samig une fois que les hommes eurent entendu le récit de Chagak.
Kayugh était fier de son fils. Un chef doit penser à tout, pas seulement au châtiment, mais à ses conséquences. Serait-il juste de punir une femme pour les méfaits de son époux ?
— Attendez, dit Longues Dents.
Il quitta l'abri que faisaient les claies d'ikyan.
Kayugh le vit se rendre chez lui. Pendant son absence, personne ne parla, chacun à ses pensées.
Lorsque Longues Dents revint, il s'accroupit près de Kayugh, pliant ses bras aux os longs, faisant craquer les jointures de ses deux mains.
Samig reposa sa question.
— Et Coquille Bleue ?
— Je vais la prendre, dit Longues Dents.
— Est-elle la bienvenue en ta demeure ? s'enquit Samig.
— Oui.
— Qui m'accompagne ? demanda Samig.
Kayugh se leva, puis Longues Dents et, en fonction
de l'âge, Premier Flocon et Petit Couteau. Samig observa Petit Couteau et eut un rapide coup d'œil pour son père. Kayugh vit la question dans les yeux de son fils. Petit Couteau était-il trop jeune pour prendre part à ceci ? Garçon ou homme, il était chasseur et rapportait phoques et lions de mer. Combien de fois Kayugh avait-il retenu ses compliments pour ce jeune homme que Samig avait ramené de chez les Chasseurs de Baleines ? Kayugh accrocha le regard de Samig et hocha la tête.
— Alors nous irons tous, dit Samig.
Ils se rendirent donc dans l'ulaq de Waxtal. Coquille Bleue leur proposa d'abord de la nourriture, mais voyant qu'ils refusaient, elle se réfugia dans un coin de la réserve, ramenant autour d'elle des piles de paniers et de nattes comme un enfant joue à cache-cache. Ils s'assirent donc. Nul ne parlait, nul ne mangeait, tous posaient les yeux sur la flamme de la lampe à l'huile en attendant le retour de Waxtal.
Quand il arriva enfin, ses vêtements portaient avec lui l'odeur extérieure du vent et de l'herbe. Il les regarda, d'abord surpris, puis avec une lueur soudaine de frayeur. Mais il se tint droit, cherchant Coquille Bleue du regard.
— Tu ne leur as rien donné à manger ? demanda-t-il d'une voix perchée.
Il gagna l'endroit où elle était accroupie, saisit sa canne à deux mains et la leva. Coquille Bleue se couvrit le visage d'un bras mais Longues Dents se leva, s'empara du bâton et tordit la main de Waxtal.
— Non !
Samig se leva et dit à Waxtal :
— Tu as les têtes de lance qui appartenaient à celui qui est mort. J'en ai besoin pour ma chasse. Apporte-les tout de suite.
C'est un bon début, pensa Kayugh. Si Samig avait réclamé l'huile, Waxtal aurait pu rire et blâmer Chagak,
ou sa propre épouse. Mais pas en ce qui concernait les pointes.
Waxtal respira profondément et Kayugh s'aperçut que les mains de l'homme tremblaient.
— Pourquoi aurais-je les têtes de lance de ton frère ?
— Tu les as empruntées. Tu voulais apprendre à tailler la pierre, répondit Kayugh.
Waxtal s'humecta les lèvres puis rentra les joues.
— Ah oui. Oui, je les ai rendues.
— Non, dit Kayugh en regardant Samig. C'est faux.
— Si... commença Waxtal.
Mais Longues Dents intervint avec dureté.
— Prétends-tu que Kayugh ment ?
— Non, non. Je les ai données à Chagak.
Kayugh serra les lèvres, contrarié.
— Chagak me l'aurait dit.
— Elle ne m'aime pas, se plaignit Waxtal. Elle a toujours honte d'avoir été la femme d'un Petit Homme. Elle a honte de s'être donnée à ceux qui ont tué son propre peuple, ricana-t-il, l'air mauvais. Et elle a honte d'avoir porté...
Bientôt, Kayugh et Samig encadraient l'homme. La main recroquevillée de Samig tordait les cheveux de Waxtal et il le menaçait du poing.
— Kayugh m'appelle fils, siffla-t-il entre ses dents.
Kayugh en eut des frissons sur les bras.
— Cela me suffit, enchaîna
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