Mon frère le vent
d'huile pour l'hiver, quelle importance de savoir qui avait tué ?
— Va, maintenant, sois alananasika, dit Kayugh. Deviens baleine comme tu m'as expliqué qu'un alananasika le doit. Fais savoir aux baleines que nous avons besoin de leur viande et que nous honorons leur esprit. Tu les as appelées. Ton pouvoir les a conduites à nous.
Samig hocha la tête et dirigea son ikyak vers le rivage. Tandis qu'il pagayait, il songea à son grand-père, Nombreuses Baleines, prononçant les mêmes mots du temps qu'il vivait dans sa tribu. Cet été-là s'était révélé une saison de baleines, comme ils n'en avaient encore jamais vu. « Mon peuple croit que c'est ton pouvoir qui nous a amené les baleines », lui avait dit son grand-père. Mais ils étaient également persuadés que son pouvoir avait appelé le feu d'Aka pour faire trembler la terre et détruire leur village.
— Non, dit Samig comme si ses paroles pouvaient le ramener des mois en arrière, à la mort de son grand-père, désormais avec les esprits dans les Lumières Dansantes. Non, je ne possède pas cette sorte de pouvoir, murmura Samig d'une voix calme et apaisée. Ma seule force est dans le souci que j'ai de mon peuple. Cette force-là ne fait que mettre des larmes dans les yeux des hommes et déposer le chagrin dans leur cœur. Cette force-là ne porte que l'espérance.
20
Mer de Béring
Waxtal avait mal aux bras à force de pagayer et les muscles de sa poitrine étaient si serrés qu'il respirait avec difficulté. Depuis sept jours qu'il avait quitté le village, il aurait dû rattraper les commerçants. Un ikyak était plus rapide qu'un ik. Mais ils étaient deux, plus jeunes et plus solides.
— En outre, dit-il à voix haute, je n'ai rien à manger.
Posant sa pagaie en travers de son bateau, il regarda
la mer du Nord.
— Entendez-vous ? appela-t-il. Vous, les esprits, là-bas, entendez-vous ? Je suis chasseur et sculpteur, pourtant ils m'ont chassé sans nourriture. Ils ne m'ont pas donné d'huile. C'est Samig, l'infirme, qui a fait cela. Si vous avez une malédiction à proférer, que ce soit sur lui. Si vous avez une bénédiction à donner, que ce soit sur moi. Je suis chasseur et sculpteur. J'honore les animaux marins. Aidez-moi à trouver les marchands.
Waxtal déplaça son pied pour toucher les défenses de morse gisant au fond de son embarcation. Il sentit la puissance monter de l'ivoire et le réchauffer, allégeant sa frayeur.
Même si je ne les rattrape pas, j'arriverai bientôt dans un village, se dit Waxtal. Il se rappela avoir vu un vil-lage Premiers Hommes ordinairement à cinq jours de la plage des Commerçants. Ce n'était pas un endroit qu'il choisirait pour passer l'hiver — les femmes y étaient laides — mais du moins y jouirait-il d'un toit, d'un lit et de la lumière des lampes à huile.
Il avait la gorge sèche. Il rentra les joues pour saliver. Il avait soif et faim davantage encore.
Il replongea sa pagaie dans l'eau et scruta le ciel. Le soleil allait bientôt se coucher. Il lui fallait trouver une plage pour la nuit. S'il en croyait son voyage depuis l'île Tugix vers la plage des Commerçants, il existait un bon endroit non loin d'ici. Il plissa les yeux en direction du rivage puis fronça les sourcils. Non, pas déjà, mais il distinguait quelque chose...
Il crut d'abord que c'était un rocher, long et bas juste au-dessus des vagues, mais bientôt il sut et son cœur bondit de joie. C'était un canoë, un ik de marchands qui se détachait sur l'eau.
Soudain, ses bras retrouvèrent leur force et il rama d'une main assurée. Il fila vers le bateau et appela, sachant pourtant qu'il était trop loin pour être entendu. Une fois assez près, il reconnut les deux frères.
Tandis que l'ik virait en direction du rivage, le plus jeune cessa de pagayer et désigna Waxtal qui appela de nouveau et redoubla d'efforts. Une fois tout près, il vit que les deux hommes lui faisaient face, lance et propulseur à la main.
— Je suis Waxtal, s'exclama-t-il, cherchant dans sa mémoire le nom des marchands, des noms d'oiseaux, oui, l'aîné s'appelait Hibou. Tu te souviens de moi, Hibou ? Je suis Waxtal. Celui qui t'a acheté tes défenses de morse.
Les marchands baissèrent leurs armes mais gardèrent la main serrée sur leurs propulseurs.
— Pourquoi nous suis-tu ? demanda Hibou.
— Ne nous demande pas de reprendre les défenses, dit le plus jeune.
— Je veux vous accompagner, dit Waxtal en approchant son
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