Mon frère le vent
poisson qui valait souvent à sa femme les compliments du village.
Oiseau Chante ne dissimula pas sa surprise.
— Chez le Peuple des Rivières ?
Le Corbeau hocha la tête et tendit son bol à Kiin. Elle lui servit de la soupe.
Oiseau Chante désigna le bol.
— Poisson noir — frais. Ma femme en attrape tout l'hiver, tu sais.
Le Corbeau approuva et porta le potage à sa bouche.
— Je viens seulement si ma femme peut m'accompa-gner, avertit Oiseau Chante.
— Préparerait-elle notre nourriture ? s'enquit le Corbeau avant de roter pour montrer qu'il appréciait la soupe.
— Oui.
— Tu peux l'amener.
— Alors je viens.
— Parfait, je vais prévenir ton frère.
Une fois Oiseau Chante reparti, le Corbeau sortit à son tour. Kiin se servit. Shuku s'éveilla, en pleurs et en colère. Kiin le prit dans ses bras et lui donna de la soupe avec son doigt. Il la mordit cruellement et elle lui fit une pichenette. Le menton de l'enfant trembla et Kiin le serra contre elle jusqu'à ce qu'il recule pour sourire. Il désigna le coin à paniers et se mit à babiller.
— Le Corbeau a fait venir des chasseurs, dit-elle à son fils en langage Premiers Hommes.
Elle continua de nourrir Shuku puis s'assit sur le bord du lit de Queue de Lemming et se tourna vers Shuku pour lui donner la tétée.
— Il a triché avec eux mais c'est ainsi qu'il fait toutes choses.
Puis Kiin se rappela sa promesse de ravaler ses
paroles, aussi n'ajouta-t-elle rien. Pourtant, elle ne put s'empêcher de se demander pourquoi le Corbeau entendait voyager au début du printemps, au moment où les gens avaient moins de nourriture et moins d'huile à troquer. Et pourquoi cette expédition était-elle si importante qu'il mente à Renard Blanc et Oiseau Chante pour s'assurer de leur concours ?
Puis vint le murmure de sa voix d'esprit : « Quelle que soit la raison, le Corbeau n'agit que pour sa propre satisfaction. »
Malgré la chaleur de Shuku contre elle, la frayeur s'installa comme de la glace dans le cœur de Kiin. Elle entoura son fils de ses bras, encore plus fort, et le berça en lui donnant le sein.
18
C hasseurs de B aleines
île de Yunaska, îles Aléoutiennes
Kukutux s'éveilla et sut que c'était le matin. Hommes et femmes étaient dehors et saluaient le soleil. Leurs chants de bienvenue devaient s'adresser aux montagnes, songea-t-elle. Croyaient-ils le soleil plus puissant que les montagnes ? Comment pouvaient-ils oublier que la cendre des montagnes avait caché le soleil et la lune, qu'elle avait même recouvert la mer ?
Les femmes du village s'étaient moquées d'elle, riant du petit tablier d'herbe que Kukutux s'était fait pour protéger son nez et sa bouche quand la cendre tombait encore. Elles s'esclaffaient, et pourtant elles portaient un tablier d'herbe pour couvrir leurs parties de femme, protection contre ces esprits de maladie qui entraient par les ouvertures du corps. Elles se gaussaient, mais maintenant, même après qu'une bonne partie de la cendre sur la plage et les roches eut été emportée par le vent et la mer, elles toussaient encore, comme si elles ne pouvaient débarrasser leur poitrine des esprits qu'elles avaient inhalés. Et combien d'enfants, combien de bébés avaient péri à cause de la cendre ? Même le fils de Kukutux était mort ; pourtant elle avait couvert son visage tant bien que mal.
— Kukutux ! fit une voix qui interrompit le cours de ses pensées. Réveille-toi !
Le rideau de la chambre s'écarta brusquement. Elle Pleure se pencha sur Kukutux et la tira par le bras gauche pour l'obliger à se lever.
— Tu crois pouvoir passer tes journées au lit sous prétexte que ton mari est mort ? demanda Elle Pleure.
Kukutux se libéra violemment de l'emprise d'Elle Pleure.
— M'as-tu vue paresser après la mort de ton frère ? insista Elle Pleure. Je me suis retrouvée seule, sans mari ni enfants, tout comme toi. Et je dois m'occuper de ma mère. Une vieille femme est-elle bonne à rapporter de la viande et de l'huile ? Tu t'en tires mieux que moi, pourtant, je ne passe pas mes journées à dormir. Je me suis trouvé un autre mari.
Elle Pleure continua à critiquer Kukutux.
— Que veux-tu, Elle Pleure ? Pourquoi es-tu là ? s'enquit Kukutux, exaspérée.
— Chasseur de Vent m'a demandé de venir t'appor-ter une bonne nouvelle.
Kukutux se rendit à la cache de nourriture d'où elle tira un sac d'herbe rempli de poisson séché. Elle en offrit un morceau à Elle
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