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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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solennelles de ma mère, de me méfier… des actrices, des cartes et des révolutionnaires.
    Mon hôte se montra un expert en camouflage. Je faisais si bien corps avec la paille, les planches et différents ustensiles aratoires, que même sa femme et ses enfants, qui faisaient de fréquentes visites à la grange, ne se doutaient pas le moins du monde de ma présence.
    Malgré tout, ma claustration était difficile à supporter. J’étais en proie à une profonde fatigue, mais j’étais incapable de dormir. Je mangeais à peine, et j’étais sujet à des accès de tremblement insurmontables. Mon hôte, qui venait me voir à midi et le soir, était plein de tact et de gentillesse. Il faisait semblant de ne pas apercevoir les signes de ma faiblesse. Avec beaucoup de sollicitude, il me pressait de me nourrir, et il pansait les blessures qui n’étaient pas encore guéries.
    Le troisième jour, alors que ma retraite m’était devenue presque intolérable, le garde forestier arriva avec un jeune émissaire du mouvement clandestin, qui avait le type du jeune officier polonais. Il était svelte, alerte, avec une sorte de fougue nonchalante qui n’empêchait pas de discerner une ténacité et une détermination inébranlables.
    Comme s’il m’invitait à dîner et sur le ton d’un homme de la bonne société, il me pria de me préparer à partir le jour suivant pour un petit domaine de la montagne, où je devais rester quatre mois au minimum.
    — Vous comprenez, je l’espère, ajouta-t-il, le sens de cet ordre. En dehors du fait que le médecin de l’hôpital d’où vous vous êtes évadé a estimé qu’une convalescence totale vous était nécessaire, la Gestapo doit perdre complètement votre trace. Vous devrez aussi vous engager à ne plus avoir aucun rapport avec aucune cellule de la Résistance aussi longtemps que l’ordre ne vous en sera pas donné. Si vous ne vous soumettez pas à ces exigences, ce sera considéré comme une infraction à la discipline avec, bien évidemment, toutes ses conséquences.
    Son ton sec dut me piquer car je répliquai avec une certaine irritation dans la voix :
    — Vous avez l’air de me tenir pour un suspect, comme si j’avais eu tort de m’évader. Pensez-vous que le fait d’être tombé entre les mains de la Gestapo m’ait rendu lâche ?
    — Ne soyez pas stupide.
    — Je ne suis pas stupide. Je veux seulement ne pas être mis au rancart. Je sais que je peux encore être utile.
    — Bien sûr, nous y comptons bien, mais pas en faisant montre d’impatience et d’indiscipline.
    — Parce que je constate qu’il y a encore beaucoup de travail à faire et que je suis parfaitement capable d’en exécuter ma part, vous me reprochez mon impatience ?
    Son visage devint sévère. Il plissa les yeux.
    — Écoutez, monsieur l’impatient, vous savez ce que veut dire « pas de contact avec le haut ». C’est le b-a-ba de la conspiration. Ce n’est pas vous qui le modifierez.
    C’était en effet une mesure adoptée depuis la formation du mouvement clandestin, pour limiter les dégâts qu’aurait pu lui causer l’infiltration d’espions ou d’agents provocateurs. Comme on ne pouvait pas supprimer tous les suspects, c’était une sorte de compromis. Il était interdit à tout individu suspect d’avoir des contacts avec ses chefs. Il pouvait cependant poursuivre sa tâche en donnant des ordres à ses inférieurs. Naturellement, si les soupçons s’avéraient fondés, le suspect était « éliminé ». Par la suite, la règle fut étendue à ceux qui avaient été arrêtés. On s’entourait même pour eux de précautions encore plus grandes. Après chaque arrestation, on changeait immédiatement les lieux de réunion. Les papiers personnels de tous les membres qui avaient été en rapport avec la personne « infectée » étaient modifiés, et l’on ordonnait à cette personne de rester isolée pendant un certain temps. En réfléchissant aux raisons de cette règle importante, je ne pouvais m’empêcher d’admettre que ce bel officier de liaison était parfaitement fondé à me tancer sévèrement. Mon air penaud et mon chagrin durent se manifester extérieurement, car il éclata immédiatement d’un rire contagieux.
    — Voyez-vous, vous avez attrapé la « rougeole clandestine ». Vous étiez entre les mains de la Gestapo et, pour autant que cela nous concerne, vous êtes devenu contagieux.
    Il s’arrêta pour me sourire d’un air entendu,

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