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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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plaisanter. J’étais très touché et je lui étais reconnaissant de l’intuition qui semblait lui avoir fait deviner ce besoin chez moi.
    Elle courut jusqu’à la voiture et en retira un grand manteau clair qu’elle me tendit en souriant.
    — Nous ignorions votre taille. Mettez cela s’il vous plaît. Demain nous choisirons quelque chose de plus seyant.
    Je la regardai, surpris.
    — Pourquoi voulez-vous que je porte cela ? C’est trop chaud. Vraiment, je n’ai pas froid.
    — Vous êtes trop bête ! Il ne s’agit pas de vous réchauffer mais de cacher ce que vous portez. Je ne peux pas vous montrer comme cela aux gens !
    Je pris un air de martyr et endossai le pardessus qu’elle me tendait. Nous montâmes en voiture. Dès que je fus assis sur le confortable siège de velours, je me sentis envahi par la fatigue et la faiblesse. J’avais du mal à faire attention aux remarques de Danuta, mon hôtesse. À la fois amusée et inquiète, elle avait écouté mes vains efforts pour dire quelque chose de spirituel ou d’intéressant.
    — Essayez de vous reposer un peu. Demain vous aurez tout loisir de vous faire valoir.
    Elle me donna l’exemple en posant sa tête sur le dossier du coussin. Soudain, elle se redressa et cria au cocher :
    — Passe-moi le vin, veux-tu ?
    Le paysan hargneux qui nous conduisait semblait considérer notre association avec la plus franche désapprobation. Je voyais qu’il secouait sa tête grise, l’air renfrogné, en murmurant : « Quel désordre – toutes ces histoires –, si seulement le maître était encore en vie…»
    Il lui tendit la bouteille à contrecœur. Après avoir bu un peu de ce vin généreux, je me sentis bien mieux. La léthargie qui m’avait envahi avait disparu momentanément et je m’aperçus que la route que nous suivions se déroulait à travers une épaisse forêt.
    — Vous n’avez pas besoin de chercher à être brillant.
    Une cacophonie bruyante et un remue-ménage fantastique saluèrent notre arrivée au domaine. À peine étions-nous descendus de la voiture sous le regard désapprobateur du cocher que nous fûmes entourés par un groupe de paysans ; ils me détaillaient ouvertement en se chuchotant des commentaires que je ne réussissais pas à entendre. Entre-temps, Danuta avait été entourée par une horde d’enfants. Ils criaient tous en chœur, chacun essayant de couvrir la voix des autres, en racontant des histoires sans queue ni tête. Ils essayaient de lui baiser la main, et je m’étonnai que son bras ne fût pas arraché, tant les enfants mettaient de violence pour arriver à être les premiers à s’emparer de la main de la maîtresse adorée. Par-dessus cette avalanche de sons criards, on percevait le piaulement des poulets, l’aboiement et le jappement des chiens déchaînés, et au loin, le meuglement intermittent des vaches.
    Je parvins à grand-peine à me frayer un passage jusqu’au groupe d’enfants qui entourait Danuta. Ses cheveux étaient en désordre, son visage tout rouge, ses vêtements chiffonnés par les enfants qui ne cessaient de la tirailler et de se presser contre elle. Mais de toute évidence cette réception enthousiaste lui faisait plaisir. Après avoir usé de mille stratagèmes et dépensé des trésors de cajoleries, elle réussit à disperser les enfants. Je pus enfin reprendre haleine et contempler du haut d’une large véranda les abords de mes nouveaux quartiers. Devant moi s’étendait une grande pelouse, bien entretenue ; au centre s’élevait un parterre fleuri de pivoines roses et blanches. Les communs, étables, écuries, forge étaient groupés à peu de distance de la maison. Le manoir lui-même, blanc et étincelant au soleil, était bordé sur trois côtés par des rangées de hêtres derrière lesquels se profilaient les bâtiments de l’exploitation. Bercé par cette calme scène rurale, je fermai les yeux et j’écoutai l’agréable bourdonnement de la campagne. Warszawa, la Résistance, la Gestapo, mon évasion, que tout cela semblait irréel. Lointain.

Chapitre XVII Nowy Dwor Mazowiecki, convalescence et propagande
    À l’intérieur de la résidence familiale des Sawa, les murs élevés, d’un blanc brillant, étaient couverts d’une collection de portraits et de photographies : de vieux tableaux représentant des groupes au bal, à la chasse, voisinaient avec des portraits de vieux dignitaires barbus en costume national d’antan et d’imposantes matrones.

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