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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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Il y avait aussi des photographies récentes des plus jeunes membres de la famille. J’y reconnus avec amusement une Danuta en bachelière, la peau mouchetée de taches de rousseur, posant avec la dignité qui convenait. Intrigué, je contemplai cet ensemble xciii .
    Danuta ne tarda pas à me faire honte de mon manque de courtoisie.
    — Tu vois, mère, dit-elle, en appuyant résolument sur le mot « mère » pour me faire entendre que la dame en question était là, en chair et en os, les mauvaises manières que mon cousin nous ramène de la ville. Il n’a pas revu sa tante depuis des siècles et il reste là à regarder des portraits, comme si c’était une collection de phénomènes, sans même prendre la peine de dire bonjour à sa tante.
    Ce petit discours railleur fit son effet. J’étais embarrassé, ne sachant de quoi m’excuser d’abord, de la manière indiscrète dont j’avais examiné les photographies, ou de mon inattention qui m’avait fait manquer l’entrée de ma « tante », que je voyais pour la première fois. C’était une femme d’une soixantaine d’années, corpulente, avec un visage étonnamment jeune au teint frais. Ses cheveux étaient d’un beau châtain clair brillant, ses yeux marron. Elle me souriait tandis que je balbutiais des excuses inintelligibles.
    Danuta se tourna vers sa mère, railleuse :
    — Il a dû donner sa langue au chat.
    — Oh, cesse de taquiner ce pauvre garçon, lui dit ma « tante », en s’avançant vers moi.
    Elle souriait pour me mettre à l’aise. Sa voix était douce et mélodieuse.
    — Ne faites pas attention à Danuta, dit-elle. Elle essaie toujours de déconcerter les gens. Je veux que vous vous sentiez libre ici, comme chez vous. Danuta m’a informée que vous étiez devenu notre « cousin ». Je suis heureuse de vous aider bien que, je dois le dire, le monde devienne étrange, trop étrange pour moi. J’ai été habituée à acquérir des cousins par voie de naissance et non sur l’ordre de ma fille. Mais je vois bien que je suis trop vieille pour le monde actuel.
    — Vous êtes très bonne, lui dis-je. J’espère ne pas être une charge pour vous.
    — Pas du tout, répondit-elle, puis elle ajouta : Oh, mon pauvre garçon, comme vous êtes pâle et maigre. Il faudra que nous remédiions à cela. Asseyez-vous, reposez-vous, et plus tard, quand vous aurez bu un peu de lait froid et que vous aurez mangé, vous nous donnerez des nouvelles de Krakow.
    — Merci, lui dis-je. J’aurai plaisir à prendre un peu de lait froid. Il fait chaud aujourd’hui, et comme vous le voyez, je n’étais pas habillé convenablement pour une journée pareille. J’espère que tout va bien pour vous.
    Une ombre passa sur son visage :
    — Non, pas tout à fait. Les boches ne sont pas précisément des anges, et mon cher fils, Lucjan…
    — Chut, maman, arrête ! l’interrompit Danuta.
    Durant les trois premières semaines de mon séjour dans la charmante maison de Danuta, je passai la majeure partie du temps à me refaire une santé. Je gardais le lit, je lisais ou je flânais dans le hall aux parquets grinçants, orné de fleurs à profusion, je bavardais avec les domestiques ou j’examinais les portraits qui m’étaient devenus familiers.
    Tous les habitants de la maison, depuis la mère de Danuta jusqu’aux filles attachées à la cuisine, étaient unis dans une singulière atmosphère de loyauté et de confiance mutuelle. Au premier abord, j’attribuai ce fait à la patience, au tact et à la gentillesse qui émanaient de Danuta et de sa mère. Mais ensuite, l’idée s’imposa à moi peu à peu qu’il y avait quelque chose d’autre, un fait impalpable que je ne parvenais pas à saisir. J’étais ennuyé de les voir jeter à la dérobée des regards à travers la pièce, quand ils pensaient que je n’étais pas là, ou encore interrompre brusquement une discussion lorsque je faisais mon apparition. Il me semblait que la maison tout entière partageait un secret qu’on ne pouvait révéler devant l’étranger que j’étais.
    Certaines nuits, je croyais entendre frapper aux fenêtres donnant sur le jardin de derrière, puis un bruit de voix indistinctes. Je chassais ces fantasmagories, produits de mon imagination trop tendue, l’imagination soupçonneuse d’un malade. Mais une nuit où je ne pouvais pas dormir, je m’étais assis à la fenêtre de ma chambre. J’aperçus une jeune fille en qui je crus reconnaître

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