Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
nous sommes forts mais… mais… c’est toujours agréable d’être en bonne compagnie.
À l’aube du 1 er septembre, peu avant 5 heures du matin, tandis que les soldats de notre division d’artillerie montée dormaient tranquillement, la Luftwaffe vola sans être repérée jusqu’à Oswiecim et, survolant notre caserne, déversa un déluge de bombes incendiaires sur toute la région. À la même heure, des centaines de chars allemands, modernes et puissants, traversaient la frontière et, par leurs obus, achevaient de tout transformer en un champ de ruines en flammes.
Ce que ces attaques conjuguées causèrent de morts, de destructions et de désorganisation, en moins de trois heures, est inimaginable. Quand nous avons enfin suffisamment repris nos esprits pour nous rendre compte de la situation, il nous parut évident que nous n’étions pas en état d’opposer une résistance efficace. Néanmoins, par miracle, quelques batteries purent tenir assez longtemps leurs positions et tirer des obus en direction des chars assaillants. À midi, deux de nos batteries avaient cessé d’exister. La caserne était presque entièrement détruite et la gare de chemin de fer rasée.
Lorsqu’il devint patent que nous ne parviendrions pas à contenir l’offensive allemande, l’ordre de retraite fut donné et notre batterie de réserve devait quitter la ville d’Oswiecim en formation de combat, en emmenant nos canons, nos vivres et nos munitions en direction de Krakow. Tandis que nous avancions dans les rues d’Oswiecim pour gagner la gare, à notre profonde stupeur des habitants se mirent à tirer sur nous de certaines fenêtres. C’étaient des citoyens polonais descendants d’Allemands, la « cinquième colonne » nazie, qui annonçaient de cette façon leur nouvelle allégeance. La plupart de nos hommes voulurent immédiatement riposter et tirer sur toute maison suspecte, mais ils en furent empêchés par les officiers supérieurs. De telles actions auraient désorganisé notre marche et c’était précisément cela que recherchait cette cinquième colonne. Par ailleurs, dans ces maisons habitaient également des Polonais, loyaux et patriotes vi …
En arrivant à la gare, nous fûmes obligés d’attendre que la voie fût réparée. Nous nous assîmes par terre, sous un soleil de plomb, ayant sans cesse devant les yeux les bâtiments en flammes, la population affolée et les fenêtres traîtresses d’Oswiecim, jusqu’à ce que le train fût prêt à partir. Nous embarquâmes dans un lourd et triste silence, et ce fut le départ vers l’est, en direction de Krakow.
Pendant la nuit, le train subit des retards considérables. Tantôt nous somnolions, tantôt, éveillés, nous spéculions sur ce qui s’était passé, et le désir de pouvoir enfin combattre était unanime. Au petit matin, une quinzaine de Heinkels surgirent pour bombarder et mitrailler le train pendant presque une heure. Plus de la moitié des wagons furent touchés et la plupart de leurs occupants tués ou blessés. Mon wagon resta indemne. Les survivants abandonnèrent les débris du train et, sans se soucier d’organiser ou de former les rangs, ils poursuivirent à pied leur route vers l’est.
Nous n’étions plus une armée ni un détachement ou une batterie, mais des individus qui marchaient ensemble vers un but totalement indéfini. Nous trouvâmes les routes encombrées par des centaines de milliers de réfugiés, de soldats qui cherchaient leurs chefs, et de gens que cette marée emportait. Cette masse humaine continua à se déplacer lentement vers l’est pendant deux semaines. Je faisais moi-même partie d’un groupe en qui l’on pouvait reconnaître encore quelque chose d’une unité militaire. Nous gardions l’espoir de rencontrer une nouvelle ligne de résistance où nous pourrions nous arrêter et nous battre. Chaque fois que nous en trouvions une qui nous paraissait convenir, un ordre de continuer la marche parvenait jusqu’à notre capitaine qui haussait les épaules et nous indiquait tristement la direction de l’est.
Les mauvaises nouvelles, tels des vautours, nous suivaient, dévorant nos derniers espoirs : les Allemands avaient occupé Poznan, puis Lodz, Kielce, Krakow ; nos avions et notre DCA s’étaient évanouis. Les ruines fumantes et abandonnées des villes, des villages et des gares ne faisaient que confirmer ces amères nouvelles vii .
Après quinze jours de marche, épuisés, en nage, hébétés
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