Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
trouver vos supérieurs et leur parler de votre vente précédente. Sans doute préférez-vous que je ne le fasse pas ?
Vraiment, il y avait, dans notre travail, des moments de satisfaction intense.
Je voudrais terminer ce chapitre en racontant l’une des plus extraordinaires mesures que nous prîmes sous la botte allemande. Je ne lui connais de précédent dans aucune organisation de résistance.
En 1941, la situation financière de la Résistance était très précaire. L’aide qui arrivait de London ne suffisait pas à nos dépenses multiples. La Délégation du gouvernement décida d’y remédier en lançant un emprunt intérieur. Des bons devaient être vendus, qui seraient considérés comme des obligations normales du gouvernement, et seraient remboursés avec intérêts après la libération de la Pologne et le retour d’exil du gouvernement. Le succès qu’obtint la vente de ces bons fut une preuve remarquable de la foi de la population en la restauration de sa patrie et de sa confiance dans l’autorité de l’État clandestin.
Les « bons » eux-mêmes n’étaient pas très officiels d’apparence. Des dizaines de milliers de morceaux d’un papier qui ressemblait à du tissu portaient le texte suivant : « Je vous remercie pour le don de tant de kilogrammes de pain, pommes de terre, charbon, etc. Je ferai de mon mieux pour vous le restituer dès que possible. »
Puis venaient la signature et un signe secret à la place du chiffre de la série. Les mots « pain », « pommes de terre », « charbon », etc., servaient à indiquer le montant de la somme.
L’organisme de diffusion de la presse clandestine fut utilisé au maximum dans cette campagne. On habilita comme agents de l’Emprunt des gens qui n’étaient pas actifs dans la Résistance, mais qui se trouvaient jouir de la confiance du public de par leur autorité morale. Cette campagne servit aussi à mettre beaucoup de gens dans l’atmosphère de travail des mouvements clandestins. Certains membres de la Résistance, dont j’étais, devaient aussi collecter l’argent.
Ce fut une campagne d’emprunt très bizarre. L’agent collecteur allait voir des gens qu’il connaissait à peine, se fiant seulement à leur bonne foi, leur loyauté, leur discrétion et leur générosité. Il s’adressait à eux au nom de la Délégation du gouvernement, secrète et anonyme, et d’autorités d’État inconnues d’eux. Il ne pouvait pas prouver son identité d’une façon concluante. Je visitai environ vingt personnes que, pour la plupart, je ne connaissais pas. C’était, en grande majorité, des gens ordinaires de la petite-bourgeoisie ou du peuple, qui vivaient sur ce qui leur restait des jours meilleurs.
On me demandait fréquemment : « Pourquoi vous ferais-je confiance ? Comment puis-je savoir qui vous êtes ? Qu’est-ce qui me prouve que vous ne garderez pas l’argent pour vous ? »
Je répondais en faisant ressortir que c’était un de leurs amis en qui ils avaient certainement confiance, qui me recommandait à eux. J’insistais sur le fait que la Résistance était évidemment anonyme et qu’elle ne pouvait fournir des adresses. Je leur disais que s’ils le désiraient, je leur enverrais régulièrement le journal clandestin du parti politique de leur choix. C’était toujours le meilleur moyen de persuasion. Je concluais simplement en donnant ma parole d’honneur.
Quoique j’aie eu à subir quelques incidents désagréables, je dois souligner que sur les vingt personnes que j’approchai, pas une ne refusa sa contribution. Et je n’étais pas particulièrement habile comme démarcheur. Évidemment, plusieurs personnes réduisirent les sommes que je leur fixais. Par exemple, l’une d’elles, à qui je demandai dix mille zlotys, m’en donna cent ! Quelques acquéreurs, je suppose, ne contribuèrent à l’emprunt que par prudence, car la Résistance semblait devoir devenir l’État officiel d’après guerre. Mais je sentais qu’en général on donnait parce qu’on désirait nous aider.
L’emprunt fut un grand succès et la somme que nous recueillîmes nous aida à poursuivre notre travail. Ces sommes seront sûrement remboursées après la libération. Si elles ne l’étaient pas, ce serait un immense abus de confiance vis-à-vis de ces braves gens qui aiment leur pays et qui ont fait des sacrifices pour lui cxviii .
Chapitre XXIII La presse clandestine
L’un des domaines de l’action de
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