Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
la Résistance avec lequel je me suis particulièrement bien familiarisé était la presse clandestine. J’avais reçu l’ordre de faire sur cette presse un rapport mensuel à usage interne. La personne à qui j’avais délégué la préparation d’un sous-rapport devait lire tous les journaux importants et les périodiques, et en extraire les éléments les plus saillants et les plus intéressants, y compris les polémiques et les prises de position. À partir de cela, il fallait élaborer une revue de presse qui paraissait tous les trois jours. Cette revue servait à tenir les autorités au courant des principaux courants politiques, et c’était aussi une source d’information précieuse pour le gouvernement à London. Je m’intéressai aussi à la presse pour des raisons personnelles. Collectionner a toujours été l’une de mes manies : avant la guerre, c’étaient les vieilles pièces de monnaie polonaises, les livres d’art illustrés, et autres objets qui suscitaient mon intérêt. Pendant mon séjour à Warszawa, comprenant son importance historique, je réunis probablement la plus riche collection d’écrits clandestins polonais : journaux, brochures et livres. Je les emballais dans des caisses, à certains intervalles, et les cachais dans des endroits sûrs. J’espère aller les réclamer après la guerre et je crois qu’ils seront intéressants autant pour les historiens que pour les musées.
Les Polonais avaient acquis une longue tradition et expérience de l’édition et du colportage de la presse clandestine. L’histoire des éditions clandestines polonaises commencent avec le premier partage de la Pologne (1772). Ils ont imprimé pendant cette guerre des milliers de journaux, défiant la Gestapo comme ils avaient défié la police secrète du Tsar, la fameuse Okhrana, environ trente-cinq ans auparavant. À cette époque, comme sous l’occupation allemande, de petites presses à main mobiles fonctionnaient dans les villes polonaises, au fond des caves des habitations ouvrières. D’autres presses, trop bruyantes pour être utilisées dans les sous-sols, étaient cachées dans les bois. Des lampes à pétrole fournissaient la lumière à l’éditeur, qui était à la fois le journaliste, l’imprimeur et le rédacteur du journal clandestin.
Un de ces nombreux imprimeurs anonymes d’alors, à la fois éditeur, écrivain et rédacteur, était un jeune socialiste inconnu qui imprima pendant deux ans (1899-1901) le clandestin Robotnik (L’Ouvrier ), dans les caves des taudis du centre de l’industrie textile polonaise, à Lodz, le Manchester polonais. Quelque dix-huit ans plus tard, il était connu dans le monde entier. C’était Jozef Pilsudski, le leader du mouvement révolutionnaire anti-tsariste polonais, plus tard commandant en chef des armées polonaises et l’un des pères de l’indépendance de la Pologne cxix .
La presse clandestine dont je m’occupais ne traitait pas exclusivement des questions intérieures du pays occupé. Tous les journaux – quotidiens, hebdomadaires, bi-hebdomadaires ou mensuels – s’efforçaient de donner des nouvelles du monde entier. Ces informations leur étaient fournies par une importante chaîne d’écouteurs-radios, bien organisée et secrète. Risquant constamment leur vie, des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, écoutaient les émissions étrangères dans des caves à l’épreuve du son, dans de petites huttes en forêt, dans des greniers au double toit truqué. Leurs sources les plus importantes étaient la BBC de London, la WRUL de Boston, et la Columbia WCBX (New York).
Chaque journal avait plusieurs postes d’écoute, car on n’était jamais certain que les émissions américaines et britanniques pourraient être entendues, ou qu’on parviendrait à les écouter à l’heure. De jeunes garçons portaient les articles dans les sous-sols des villes, dans les planques en forêt, où l’homme qui était à la fois rédacteur et imprimeur se servait d’une presse à main ou d’une ronéo. Il rédigeait les éditoriaux et recevait les articles des « correspondants » et des « reporters » disséminés dans tout le pays qui lui transmettaient par ces messagers les informations locales.
Des agences de presse spéciales avaient été organisées par la Délégation du gouvernement, par l’Armée de l’intérieur ( AK ) et par les états-majors des grands partis politiques. Par l’intermédiaire de ces
Weitere Kostenlose Bücher