Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
l’intention de jouer des pièces offensantes ou démoralisantes et ne le fit jamais. Néanmoins d’autres acteurs, dont beaucoup étaient dans nos rangs, commencèrent à demander à la Résistance s’il était permis d’ouvrir des théâtres polonais et quelle était notre attitude à ce sujet.
La réponse, donnée par la grande majorité, fut : « L’actrice en question fermera son théâtre immédiatement ou bien sera déclarée en état d’infamie. »
Pour expliquer cette décision, on me fit ressortir qu’aucun Polonais ne pouvait se permettre une détente dans un théâtre, tandis que la Pologne souffrait, combattait et se sacrifiait. Aucun Polonais n’avait le droit d’oublier, même pendant deux heures, ce qui se passait dans son pays. Il était interdit d’interrompre le combat et l’insurrection permanente contre l’envahisseur.
L’actrice garda son théâtre ouvert en dépit de la décision qui lui fut notifiée. Les pièces qu’elle faisait jouer étaient presque toutes des comédies légères et inoffensives. Peu après, on déclara qu’elle avait commis une « infamie » et son nom fut publié dans les journaux clandestins. Elle fut poursuivie pour avoir offensé les sentiments de la nation polonaise. L’« attitude de résistance à l’occupant » ne pouvait être ignorée par qui que ce soit.
Dans notre campagne de résistance et de vengeance contre les Allemands, ils nous rendirent eux-mêmes des services inestimables. L’administration nazie, les policiers, les officiers et les civils ne sont pas si indifférents aux biens de ce monde qu’on nous le disait à propos de cette race de « surhommes ». Dans les pays occupés, les Allemands n’étaient rien de plus qu’une bande de médiocres voleurs ; quand ils n’étaient pas en train d’abuser la population locale, ils ne pensaient qu’à l’argent.
L’administration allemande ne sut jamais jusqu’à quel point nous exploitions la faiblesse de ses agents. Pour tirer parti de leur vénalité, nous employions souvent la corruption. Nous promettions à ceux qui, par-dessus tout, souhaitaient s’en tirer sains et saufs, que nous les protégerions après la guerre si l’Allemagne était vaincue. Mais ce fut le chantage qui nous valut les plus grands succès. J’ai bien peur que beaucoup d’entre nous ne soient devenus des maîtres dans ce bel art.
Un fonctionnaire allemand nous vendit une fois un renseignement. Son prix était excessif, mais nous payâmes allègrement. Il se frotta les mains, nous exprima son amitié et quelque chose qui ressemblait vaguement à un compliment à l’adresse du peuple polonais. Il ne savait pas que nous avions des preuves précises de toute l’affaire, y compris des photographies. On lui demanda poliment de nous rendre d’autres services à des prix qui progressivement diminuaient au fur et à mesure qu’il se compromettait. Il nous fournit pendant une longue période de la « marchandise » qui devait lui manquer beaucoup par la suite.
Le soldat allemand moyen manquait souvent d’argent. Il avait envie de bons repas, de liqueurs, de cigarettes. Il lui était facile de nous vendre une ceinture, une capote, une couverture, même un revolver ou un fusil. Nos prix étaient avantageux pour lui. La première opération terminée, le pauvre diable était obligé de nous fournir un flot ininterrompu d’articles militaires, qu’il devait voler ou acheter à ses collègues. Il savait que, s’il cessait tout commerce avec nous, il nous serait facile de dénoncer nos transactions à ses supérieurs.
Nombre d’Allemands étaient Treuhänder, c’est-à-dire administrateurs de propriétés foncières, immobilières et autres, et essayaient de s’enrichir au marché noir en vendant du grain réquisitionné, des meubles, des fourrures, du fourrage, et tout ce sur quoi ils pouvaient faire main basse sans être pris. Nous avions plusieurs agents dont la seule tâche était de faire des achats de ce genre. Ils parlaient en général l’allemand couramment, achetaient sans marchander tout ce que le Treuhänder offrait et disparaissaient avec leurs achats. Ils revenaient le jour même et demandaient des articles précis, à des prix très réduits. Le Treuhänder écoutait cela avec étonnement et se mettait en colère. Alors notre homme s’expliquait :
— Vous ne comprenez pas que je vous fais vraiment une faveur ? Si vous ne me vendiez pas ces objets, je pourrais aller
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