Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
trahison des nôtres.
Amen. Fais que nous redevenions les maîtres de notre sol. Fais que nos cœurs reposent avec le calme de la mer et la beauté de nos montagnes. Que les foules affamées se nourrissent de Ta Lumière, ô Seigneur. Fais que nous établissions la justice dans une juste Pologne. Amen. Donne-nous la Liberté, ô Seigneur. Amen.
Outre les périodiques, les éditions clandestines publiaient des livres et des brochures de toutes sortes. Les brochures étaient pour la plupart idéologiques. Les livres étaient principalement des réimpressions de livres que les Allemands avaient interdits : classiques polonais, textes d’éducation clandestine, ouvrages militaires et livres de prières.
Presque tous les journaux étaient publiés sur du papier ordinaire en petit format, rappelons-le, dans un but de sécurité. Un de ces journaux parut tout à coup dans un format semblable à celui du Times de London. Étant donné les circonstances, c’était une folie. Dans leur premier éditorial, les rédacteurs s’en expliquaient : « Nous avions décidé, disait l’éditorial, d’imprimer notre journal dans un format qui est considéré généralement comme impossible pour des conspirateurs, parce que nous sommes résolus à ne prêter aucune attention à ces infâmes scélérats de l’Allée Szuch (siège du quartier général de la Gestapo). Nous voulons ignorer les dangers de la Gestapo et ne prêtons aucune attention à l’occupation nazie. Le mépris de l’ennemi et le courage d’une nation, de même que son âme, ne peuvent être tués. La seule récompense que nous demandons à nos lecteurs pour les risques que nous prenons c’est de l’audace et une grande diffusion de notre journal, édité contrairement à toutes les règles de la clandestinité. »
Le journal continua à paraître pendant quelque temps dans ce format. Un autre journal égala presque cet exploit en employant une qualité de papier extrêmement belle, une qualité qui aurait dépassé, même en temps normal, les moyens de n’importe quel quotidien. La présentation et l’impression de cette publication étaient excellentes aussi. Les éditeurs de ce remarquable périodique soulignaient : « Nous n’avons aucune difficulté à obtenir du papier des autorités allemandes, toujours affables. Les bêtes allemandes sont corrompues jusqu’à la moelle. On peut tout obtenir d’elles par la corruption. Nous employons cette qualité supérieure de papier pour montrer au monde l’infamante vénalité de l’administration allemande. »
La Résistance, par le truchement de la presse clandestine, restait en contact direct avec la grande masse de la population. Grâce à elle, le peuple était constamment au courant de ce qui se faisait. Elle l’aidait à garder un bon moral et soutenait ses espérances. Les organisations clandestines avaient besoin, pour continuer efficacement leur travail, de savoir que le peuple avait foi en elles et adhérait à leur autorité. Les témoignages ne leur en ont pas manqué.
Chapitre XXIV L’« appareil » du conspirateur
J’avais à ma disposition un « appareil » de conspirateur tout à fait respectable. J’ai recours aux guillemets à dessein car un certain nombre d’explications paraissent indispensables. Beaucoup de gens trouveront en effet ces termes sans signification et même contradictoires. Ils ne parviennent pas à associer « conspirateur » avec « appareil ». Par exemple, les personnes que je rencontrais à l’étranger n’arrivaient pas à imaginer comment je pouvais avoir un bureau normal dans la Résistance. Les notions de rencontre et de consultation leur étaient inconcevables. Dans leur esprit, les résistants se rencontraient furtivement, généralement la nuit, dans des circonstances dangereuses et environnés de menaces. Les films que j’ai vus et les romans que j’ai lus sur la Résistance en Europe sont invariablement des produits de l’imagination.
Il fallait que le genre de travail qui était le nôtre fût fait avec les méthodes les plus simples, les plus prosaïques. Le mystère et la surexcitation attirent l’attention, or la plus impérative des règles de la clandestinité était : « Passez inaperçus. »
La plupart du temps, notre travail était probablement moins attractif et moins passionnant que celui d’un charpentier, et notre existence complètement dépourvue d’exploits sensationnels. Certains d’entre nous passaient
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