Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
et désorientés, nous approchions de Tarnopolskie viii . Nous étions le 17 septembre et je me souviendrai de cette date jusqu’à mon dernier jour. La chaussée de Tarnopolskie était si brûlante, nos pieds et nos chaussures en si mauvais état après quatre jours continus de marche que nous ne pouvions plus supporter le contact du chemin desséché. La plupart d’entre nous préféraient marcher sur les bas-côtés, même si cela nous obligeait à avancer plus lentement.
Tandis que nous allions de la sorte, sans nous presser particulièrement, puisque nous ne savions plus très bien où nous nous rendions, je perçus un bruit croissant et remarquai des individus courant d’un groupe à l’autre, ce qui dénotait généralement l’arrivée de nouvelles importantes ou de rumeurs surprenantes. Je me trouvais dans un groupe de huit officiers médecins depuis que j’avais arrêté l’un d’eux afin d’obtenir un pansement pour mon talon. Tous, nous réalisâmes qu’il se passait quelque chose.
— Je vais me renseigner, dit l’un d’eux, un jeune capitaine que nous admirions pour l’aspect soigné qu’il s’efforçait de conserver, ce sont peut-être de bonnes nouvelles, pour changer.
— Sûrement, répondit quelqu’un ironiquement, c’est Hitler qui a décidé de se rendre à nous.
— Eh bien, nous allons le savoir, dit le capitaine en se dirigeant vers une compagnie de fantassins qui s’étaient arrêtés à une vingtaine de mètres derrière nous et discutaient avec animation.
Nous décidâmes d’attendre notre messager auto-désigné à l’ombre maigre d’un vieil arbre rabougri. Il fut de retour au bout de quelques minutes, hors d’haleine et, incapable de se contenir, il nous cria de loin :
— Les Russes ont franchi la frontière, les Russes ont franchi la frontière, vous entendez ?!
Il fut aussitôt entouré et assailli de questions : l’information était-elle digne de foi ?
Quelqu’un la tenait d’un civil qui avait un poste de radio, qu’est-ce que cela signifiait ? Nous auraient-ils déclaré la guerre eux aussi ? Venaient-ils en amis ou en ennemis ?
Il ne donnait pas la nouvelle pour certaine, mais son opinion… Il lui fut répondu poliment que son opinion n’offrait pas d’intérêt pour le moment. Nous désirions des faits.
D’après ce qu’on lui avait rapporté, quelqu’un était tombé sur une radio russe émettant sur des ondes polonaises quelque part en Pologne. Une longue série d’annonces avait été diffusée en russe, en polonais et en ukrainien, demandant au peuple polonais de ne pas considérer les soldats russes qui avaient franchi la frontière comme des ennemis, mais comme des libérateurs. Ils venaient pour « protéger les populations ukrainienne et biélorusse ».
Le mot « protection » était de mauvais augure. Nous nous souvenions tous que l’Espagne, l’Autriche et la Tchécoslovaquie étaient « protégées ». Est-ce que les Russes se battraient contre les Allemands si cela s’avérait nécessaire ? Le pacte Ribbentrop-Molotov avait-il été dénoncé ix ?
Notre messager n’en savait trop rien. Il s’était adressé aux fantassins qui n’en savaient pas davantage. Pour autant qu’il pouvait en dire, l’émetteur russe ne donnait pas d’informations précises sur ces points. Il y avait par contre des considérations sur « nos frères ukrainiens et biélorusses » et sur l’urgente nécessité d’une « union de tous les peuples slaves x ».
Il n’était d’aucune utilité de rester à griller en plein soleil pour discuter là-dessus. Le plus intelligent était d’atteindre Tarnopolskie le plus rapidement possible pour s’y informer.
Les faubourgs de Tarnopolskie étaient à une quinzaine de kilomètres à peine. Nous pouvions y parvenir en peu d’heures en faisant un effort sur nous-mêmes. Nous continuâmes donc notre marche épuisante avec un peu plus d’énergie. Au moins avions-nous à présent un motif qui nous poussait en avant et nous faisait nous hâter. Nous en étions presque joyeux.
Tout en marchant, nous continuions à nous interroger sur l’interprétation possible des rumeurs entendues, oubliant la canicule et notre misère ; enfin nous pouvions discuter d’autre chose que de l’étendue de notre territoire déjà tombé aux mains des Allemands.
Avant même d’arriver à Tarnopolskie, réponse fut donnée à nos interrogations. À trois kilomètres environ avant la
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