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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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creuser cette séparation. En me baissant pour réajuster mes bottes qui me faisaient souffrir, je remarquai combien leur élégant cuir verni était incongru sur le sol de boue durcie de la Russie. Des bottes faites sur mesure, chez Hiszpanski, le meilleur chausseur de Warszawa. Je les avais attendues si longtemps ! J’avais soif et me rappelai les vins servis au bal de l’ambassade du Portugal, la musique, l’atmosphère d’insouciance, les sœurs Mendes… Quel changement en vingt jours !
    Nous fîmes halte dans une vaste clairière, entourée en partie d’arbres hauts et touffus. Au centre de la clairière, se trouvait un groupe de bâtiments qui avait dû faire partie d’un monastère : église, maisons d’habitation, granges, étables xiv .
    À travers un haut-parleur, des instructions en un polonais à fort accent russe nous furent données concernant notre nouveau mode d’existence.
    Tout d’abord, on sépara les officiers des simples soldats. Une fois cela accompli, on nous divisa en groupes de quarante. À la stupéfaction générale, on traita les soldats mieux que les officiers. Dès le début, les Russes nous firent voir que nous serions traités selon notre grade – à rebours !
    Les gardes nous conduisirent dans les bâtiments que nous devions occuper. Les simples soldats furent logés dans des bâtiments de pierre, restes du monastère et de l’église ; nous, les officiers dans les étables et les granges en bois qui avaient été converties en baraquements, à quarante dans chacune des dix baraques. Un traitement particulier fut réservé aux policiers capturés, et aux officiers de réserve qui, dans le civil, étaient magistrats, avocats ou hauts fonctionnaires. Le haut-parleur les désigna comme « tous ceux qui avaient opprimé en Pologne les communistes et les classes laborieuses ». Pour eux, les autres prisonniers durent construire, au milieu de la cour du monastère, des cabanes spéciales en bois xv .
    C’est aussi à nous, officiers, que fut réservé le travail le plus dur. Nous coupions du bois dans la forêt et le chargions dans les trains. Quoi qu’il en fût, je ne m’attardai pas à me demander ce qui était juste ou injuste dans le sort qui m’était réservé. J’essayai de m’adapter le mieux possible et je trouvais même cela salutaire à certains égards. « Le travail n’est pas un déshonneur », principe si populaire chez les Soviets, nous fut inculqué à nous, « aristocrates polonais dégénérés », par des moyens spéciaux.
    Les bolcheviks préparaient notre nourriture dans d’énormes chaudrons de fer. Le nettoyage de ces marmites était un travail pénible et répugnant, exigeant un grand effort physique, et qui se terminait invariablement, après une courte période, par des ongles arrachés et des mains meurtries.
    Les Soviets nous firent savoir que leurs soldats n’avaient pas le temps de nettoyer les chaudrons et que nous aurions à le faire nous-mêmes. Les volontaires pour cette besogne recevraient, en rémunération, la permission de manger les restes, qu’ils gratteraient à l’intérieur des marmites.
    Dans les baraquements d’officiers, il n’y eut que trois candidats à se présenter, dont moi. Bien sûr c’était un travail désagréable et sale, mais durant les six semaines où je le fis, je me nourris mieux que les autres, et j’éprouvai même une étrange satisfaction à exécuter cette tâche. Je me démontrai à moi-même que je pourrais, si c’était nécessaire, mener à bien un travail domestique, aussi aisément et courageusement que n’importe qui.
    Avec un camarade de captivité, le lieutenant Kurpios, jeune homme impatient, mais plein de ressources, qui aurait risqué sa tête pour s’évader s’il avait rencontré une chance de succès, je passai presque tous mes instants de liberté à échafauder des plans sur nos chances d’évasion. Sortir du camp n’aurait pas été trop difficile, mais nous étions arrêtés par l’impossibilité de prendre un train. La gare se trouvait à quelques heures de marche, et nous étions à peu près certains d’être pris avant d’y arriver. De plus les trains étaient trop bien gardés. Essayer de nous frayer un chemin à travers un pays froid et hostile, sans en connaître la langue, et avec nos uniformes, présentait des difficultés insurmontables. Néanmoins, nous attendions que le hasard vînt à notre secours. C’est alors que le lieutenant me fit part

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