Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
d’un plan stupide.
Un jour, après le repas, alors que j’allais me remettre au travail, je fus arrêté par une tape sur l’épaule. C’était mon jeune ami, rouge et haletant d’émotion, qui me glissa dans l’oreille, comme un conspirateur :
— J’ai une bonne idée. Je crois que cela marchera.
— Qu’est-ce que c’est ? lui répondis-je de la même façon.
Puis, apercevant à trente pas un gardien russe qui nous observait avec suspicion, je continuai à marcher et changeai de ton.
— Calme-toi, bon sang, dis-je en essayant de paraître plus normal. Tu as l’air de tramer un complot pour faire sauter le camp entier. Et je lui montrai subrepticement le gardien. Il comprit et se plaça à mon côté. Nous n’étions plus que deux prisonniers qui se rendaient pour certaines raisons dans une direction donnée.
Il m’expliqua qu’un échange de prisonniers devait se faire bientôt, d’après les termes du pacte Ribbentrop-Molotov. L’un des articles du pacte stipulait que l’échange de prisonniers de guerre ne concernerait que les simples soldats. Les Allemands devaient renvoyer en Russie tous les Ukrainiens et les Biélorusses. Les Russes laisseraient repartir pour l’Allemagne tous les Polonais descendant d’Allemands, ainsi que tous les Polonais nés sur les territoires incorporés au III e Reich, en vertu du fait que c’étaient « de vieux territoires germaniques xvi ».
— Magnifique ! fis-je ironiquement. Dans huit jours, je serai au bal à Warszawa ! Tout ce que j’ai à faire, c’est de me transformer en simple soldat, de changer mon acte de naissance, de convaincre les Russes et d’échapper aux griffes de la Gestapo. C’est tellement simple que je me demande comment je n’y avais pas pensé.
— Jasiu, Jasiu, je crains pour tes facultés mentales. Il faut se tirer d’ici au plus vite.
— Bon ! Admettons qu’il y ait quelque chose à tirer de cela. Quels sont exactement les territoires qui ont été incorporés à leur III e Reich ? Lodz y est-il compris ?
— Oui. De ce côté-là, c’est donc très simple. As-tu un quelconque papier prouvant que tu y es né ?
— Oui. J’ai un extrait de naissance, un peu fripé, mais en bonne et due forme. Et toi ?
— Mon lieu de naissance n’a pas eu la bonne fortune d’être incorporé au Reich. Mais je verrai cela plus tard. Ne nous occupons que d’un seul cas à la fois. Pour toi, il ne te reste qu’à devenir simple soldat, et ce sera facile. Je ne vois même pas comment tu as pu être officier, d’abord !
— Moi, je ne vois pas comment je pourrais passer pour un soldat. L’uniforme est impossible à transformer et je n’en ai pas d’autre. Voudrais-tu que j’en vole un ?
— Pourquoi voler ? Non, emprunte-le ! Va trouver un soldat qui ne peut pas ou ne veut pas être échangé, et s’il y a un peu de patriotisme ou d’humanité en lui, tu pourras le convaincre d’échanger vos uniformes. Fais-le pendant que tu es dehors à couper du bois dans la forêt, tu retourneras ainsi dans son baraquement, et le tour sera joué.
Cette idée semblait parfaite – au moins pour sortir de Russie. Les gardiens russes ne contrôlaient jamais ni les noms, ni les papiers. Ils se contentaient de nous compter en gros. Si je parvenais à trouver un soldat consentant – et j’étais sûr d’en trouver un –, l’échange d’uniformes et de personnes ne serait jamais découvert. J’acceptai les risques sur ce qui arriverait une fois que je serais de retour en Pologne. J’aurais crié de joie, tant j’étais sûr, en définitive, de réussir à rejoindre l’armée polonaise au combat.
— Maintenant, dis-je, occupons-nous de toi. Tu dois te procurer un document prouvant que tu es né en territoire allemand incorporé. Ceux qui voudront t’en donner un vont peut-être être difficiles à trouver. Que feras-tu alors ?
— Il n’y a pas qu’une chose à faire, me répondit-il, je dois ou obtenir un document, ou essayer de convaincre les autorités soviétiques sans en avoir. Je sais ce que tu penses. Si tu peux partir sans moi, tu dois le faire. Voilà ce que tu peux faire pour moi : quand tu auras changé d’uniforme, va au bureau et demande à être envoyé en Allemagne. Alors, observe bien l’attitude de l’officier, s’il examine les papiers soigneusement, etc. J’en déduirai ce que j’aurai à faire.
Nous étions près des baraquements. Je devais gagner les cuisines, et,
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