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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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paysan fit remarquer que nous aurions, en ce cas, besoin de l’aide des autres soldats et Franek fit ressortir qu’il fallait, de toute façon, obtenir le consentement de nos camarades du wagon. Ils seraient probablement punis à cause de nous et s’ils décidaient de s’opposer à notre évasion, c’en serait fait de nous. Il se tourna vers moi et dit :
    — C’est à vous de les convaincre. Dites-leur qui vous êtes et pourquoi vous voulez vous évader. Faites-leur un discours.
    J’hésitai une seconde puis j’acceptai. Mon rôle dans cette affaire était tel que je ne pouvais refuser. En outre, je n’étais pas un novice dans l’art oratoire. Lorsque j’étais jeune, mon ambition était de devenir un grand orateur. J’avais travaillé assidûment et étudié les tics de toutes les idoles de la politique et de la diplomatie européennes.
    Notre plan était prêt. Nous restions assis, inquiets et émus, en attendant l’obscurité et la vue des forêts de Kielce. Franek allait souvent regarder par la fenêtre. Enfin, il souffla haletant :
    — C’est pour maintenant. Nous serons bientôt à l’endroit rêvé. Faites votre discours.
    Je me levai :
    — Citoyens polonais, criai-je, j’ai quelque chose à vous dire. Je ne suis pas un soldat, je suis un officier. Avec ces trois hommes, je vais sauter du train, non pour nous mettre à l’abri, mais parce que nous désirons rejoindre l’armée polonaise. Les Allemands disent qu’ils ont balayé notre armée : ils mentent. Nous savons que notre armée se bat encore courageusement. Voulez-vous faire votre devoir de soldats, vous évader avec moi et continuer la lutte, pour l’amour de votre pays ?
    Une attention frémissante répondit à mes premiers mots, suivie de nombreux sourires, comme si j’étais subitement devenu fou. Au fur et à mesure que je parlais, les hommes devenaient plus sérieux et je voyais que beaucoup d’entre eux étaient maintenant déterminés à faire échouer notre projet. Je m’arrêtai. Il y eut un brouhaha de commentaires, d’approbations, d’objections. Un groupe de sept ou huit soldats plus âgés, au fond du wagon, opposait une résistance opiniâtre à tout ce que j’avais dit.
    — Pourquoi vous aiderait-on ? me cria l’un d’eux. Si vous vous évadez, les Allemands fusilleront ceux qui restent. Et nous n’avons rien à gagner à nous sauver. Les Allemands nous traiteront correctement quand nous travaillerons. Si vous vous en allez, vous avez tout à perdre et rien à gagner.
    Quelques autres se rallièrent à cet avis :
    — Non, non, crièrent-ils, ne les laissez pas sauter. Nous serons tous fusillés.
    J’avais toujours été persuadé que le meilleur stimulant pour un orateur était la colère. Je n’eus pas besoin de chercher mes phrases :
    — Vous êtes jeunes. La plupart d’entre vous n’ont que vingt ans, d’autres seulement dix-huit. Nous n’avons pas l’intention de passer notre vie comme esclaves des Allemands. Ils veulent asservir la Pologne ou détruire les Polonais. Ils l’ont dit souvent. Un jour, peut-être, vous rentrerez chez vous. Que diront vos familles, que feront vos amis quand ils apprendront que vous avez aidé vos ennemis ?
    L’opposition diminua rapidement. Je n’avais pas encore décidé la majorité des prisonniers à tenter l’aventure avec nous, mais, au moins, ils n’empêcheraient pas notre évasion. Huit autres soldats se joignirent à nous. Quelques autres s’offrirent pour nous faire passer par les fenêtres. Il faisait maintenant assez noir pour courir le risque. De plus, il avait commencé à pleuvoir, et si c’était signe que nous serions transis et pitoyables, c’était signe aussi qu’il n’y aurait pas beaucoup de gardiens à l’extérieur. J’expliquai brièvement ce que nous allions faire et nous nous alignâmes à huit environ devant chacune des deux fenêtres. Franek était le premier. Un homme le prit par les épaules, un autre par les genoux et un troisième par les pieds. Nous attendîmes un instant. Pas un bruit. Je regardai par l’ouverture, mais je ne pus apercevoir Franek nulle part. Ou bien il avait réussi à se sauver, ou bien il gisait sur le sol, invisible dans la pluie et l’obscurité.
    Le train, maintenant, allait plutôt lentement tandis que nous décrivions des courbes à travers les bois. Il fallait agir en toute hâte. Chaque groupe prit un homme, le cala dans la fenêtre et le poussa dehors dans la nuit. Quatre

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