Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
soldats disparurent de cette manière : nous entendîmes alors un coup de fusil. Puis nous vîmes le pinceau d’un puissant projecteur qui balayait le train. Nous nous arrêtâmes. Je compris tout de suite que les coups de fusil et le projecteur provenaient d’un poste d’observation installé sur le toit d’un wagon, le dernier sans doute. « Dépêchez-vous avant que le train ne s’arrête », criai-je. Je me demandais si le train stopperait. J’espérais que les Allemands ne voudraient pas modifier leurs plans pour une poignée d’hommes. En effet, le train continua sa marche. Nous fîmes de nouveau sortir quatre hommes et une volée de balles crépita. Deux autres encore furent lancées dans l’intervalle des coups de fusil. Quand l’un d’eux s’écroula, on l’entendit crier « Jésus ! » et gémir de douleur. Nous n’étions plus que trois, maintenant. Il était trop tard pour songer à s’arrêter. L’autre groupe lança un homme pendant qu’on me hissait à hauteur de la fenêtre, une ou deux balles sifflèrent, on me poussa en avant et je naviguai à travers les airs.
Je retombai sur mes pieds. Le mouvement du train et mon saut, combinés, me déportèrent en avant sur la gauche. Je trébuchai, luttai pour reprendre mon équilibre et enfin je tombai, face contre terre. Le choc fut amorti par l’épaisseur de l’herbe. J’étais haletant mais indemne. J’entendis encore tirer. Je me relevai et courus me protéger sous les arbres où je me blottis en attendant de voir si quelqu’un viendrait me rejoindre. Le tir cessa et le train disparut en grinçant. On ne nous recherchait probablement pas.
J’attendis à peu près une demi-heure, dans l’espoir que les autres me retrouveraient. Je me demandais ce qu’ils étaient devenus et regrettai de ne pas avoir convenu d’un rendez-vous avec mes trois amis, Franek en particulier, qui connaissait bien ce pays. À la fin, j’aperçus quelqu’un qui se faufilait en hésitant sous les arbres. J’appelai en demandant si l’on était blessé. On me répondit négativement et un jeune soldat d’environ dix-huit ans, pâle et tremblant, aux cheveux bouclés, au mince corps d’enfant, vint me rejoindre. Il paraissait plutôt fait pour l’école ou l’asile d’orphelins que pour l’armée. On voyait bien qu’il cherchait désespérément quelqu’un qui pût lui donner un conseil. Je le fis asseoir et reposer un moment, je le rassurai en lui disant de ne pas se tourmenter. Nous avions échappé sains et saufs aux Allemands et ne serions pas poursuivis. Il me demanda ce que j’avais l’intention de faire et je lui répondis que je voulais me rendre à Warszawa, mais que le plus urgent était de se procurer des vêtements civils, un abri et de quoi manger. Il pensait que Warszawa lui conviendrait aussi parce qu’il y avait une tante. Nous restâmes quelque temps à élaborer des plans dans l’obscurité.
Nous nous trouvions dans une région de la Pologne que ni l’un ni l’autre ne connaissions bien. Nous étions en uniforme, sans papiers d’aucune sorte, affamés, affaiblis par les épreuves des dernières semaines, et n’ayant, pour nous protéger de la grosse averse qui tombait, que des vêtements usés jusqu’à la corde. Il n’y avait rien à faire qu’à croire en notre chance. Décidés à frapper à la porte de la première maison venue, nous nous mîmes en marche à travers bois jusqu’au moment où nous rencontrâmes une étroite bande de terrain sans herbe, qui devait être un sentier ou une route.
Après nous être traînés trois heures sous la pluie, nous aperçûmes la silhouette d’un village et, ralentissant le pas, nous nous en approchâmes avec prudence. Sur la pointe des pieds, nous arrivâmes devant la première habitation, une petite maison typique de paysan. Une faible lumière filtrait sous la porte où nous nous étions arrêtés, hésitants. Au moment de frapper, je fus pris d’un tremblement nerveux et pour apaiser ma frayeur je cognai brutalement à la porte. La voix tremblante d’un paysan me rassura un peu :
— Qui est-ce ?
— Sortez, je vous en prie, répliquai-je en essayant de faire sonner ma voix avec autorité, quoique poliment, c’est très important.
La porte s’ouvrit lentement, laissant apparaître un vieux paysan barbu aux cheveux gris. Il restait sur le seuil, en sous-vêtements, et visiblement il avait froid et peur. Une bouffée d’air chaud venant de
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