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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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majorité croyait que nous serions libres et n’émettait des doutes qu’en ce qui concernait les conditions de vie. C’est avec cette illusion que nous quittâmes le train à Radom, ville de l’ouest de la Pologne. Les Allemands nous firent mettre en rang à grand renfort de cris et de bourrades. Les officiers qui prirent le commandement étaient rudes, et, en guise de promesses, nous firent des menaces déguisées. C’était troublant, mais cela n’ébranla pas nos convictions ; cependant, la pensée que nous serions libres nous avait empêchés de chercher à nous évader, depuis Przemysl, et continuait à nous influencer en ce sens, tandis que nous nous rendions au camp de répartition de Radom, sous légère escorte. Pourtant, tout en marchant, abrutis et crottés, nous commencions à sentir le doute s’insinuer en nous pour la première fois.
    Nos soupçons furent confirmés à la vue des formidables défenses de barbelés qui entouraient le camp, immense et lugubre.
    Nous fûmes amenés au centre du camp et l’on nous fit un nouveau discours pour nous donner l’assurance que nous serions relâchés et qu’on nous mettrait au travail ; en attendant, toute infraction à la discipline serait immédiatement et sévèrement punie. Quiconque essaierait de s’évader serait fusillé sur-le-champ.
    Cette menace eut pour effet immédiat de me convaincre de l’extrême urgence qu’il y avait à tenter une évasion. Si l’on nous donnait un avertissement aussi net, c’est qu’on avait l’intention de nous garder prisonniers, et dans des conditions rigoureuses. En regardant autour de moi, je voyais qu’une évasion était presque impossible. Radom était bien gardée ; les barbelés étaient difficiles à franchir et les sentinelles placées aux endroits d’où l’on dominait une vaste perspective.
    Pendant les jours qui suivirent, je connus à Radom une nouvelle espèce de mentalité et un nouveau type de code moral, si l’on peut dire, tellement étrange qu’il en était incompréhensible. Pour la première fois, je rencontrai la brutalité et l’inhumanité à un degré complètement hors de proportion avec ce que j’avais pu voir jusque-là, et cela me fit véritablement réviser mes conceptions du monde dans lequel je vivais.
    Les conditions de vie étaient inénarrables. Nous puisions ce que nous pouvions de nourriture dans une lavasse qu’on nous versait deux fois par jour et qui était d’un goût si répugnant que la plupart des hommes, dont j’étais, ne pouvaient parvenir à l’avaler. On ajoutait à cela une ration journalière d’environ vingt grammes de pain rassis. Nous étions logés dans un vieux bâtiment si délabré qu’on pouvait à peine reconnaître en lui une ancienne caserne. Nous y dormions sur un sol dur et nu, recouvert d’une mince couche de paille qui n’avait certainement pas été changée depuis le début de la guerre. On ne nous donna ni couvertures, ni manteaux, ni quoi que ce fût pour nous protéger contre l’humidité de novembre. Les soins médicaux n’existaient pas ici. C’est là que j’appris combien la mort pouvait être considérée comme peu de chose. Je sus qu’il y avait eu, et qu’il y avait encore, beaucoup de cas de décès qui auraient pu être évités : morts par le froid, la faim, le surmenage, les sévices à la suite de violations – réelles ou imaginaires – de la discipline du camp.
    Mais ce qui me révoltait le plus, à Radom, ce n’étaient pas nos conditions d’existence et la brutalité de nos gardes, c’était leur gratuité apparente. Elles ne semblaient pas motivées par le désir de nous inculquer la discipline, de nous faire obéir, ou de prévenir les tentatives d’évasion ; elles n’étaient même pas destinées à nous humilier, à nous dégrader, à nous affaiblir, bien que ce fût, à un certain point, ce qui en résultait ; elles semblaient bien plutôt faire partie d’un code d’une sauvagerie inouïe, auquel gardiens et fonctionnaires se conformaient d’eux-mêmes, par goût.
    Pas un ordre ou une observation ne nous étaient adressés sans être précédés de l’inévitable « cochon de Polonais ». Les gardiens paraissaient chercher continuellement l’occasion de nous lancer un coup de pied dans le ventre ou un coup de poing dans la figure. La moindre chose qui pouvait ressembler de très loin à de l’insubordination ou à un manque de discipline, la plus insignifiante défaillance,

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