Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
l’intérieur me fit presque défaillir, tant je sentais le besoin d’entrer pour me réchauffer.
— Que voulez-vous ? demanda-t-il sur un ton où se mêlaient l’indignation et la frayeur.
Je ne répondis pas. Je voulais tenter de jouer sur les sentiments.
— Êtes-vous, oui ou non, un Polonais ? Répondez-moi.
— Je suis un patriote polonais, répliqua-t-il avec plus de rapidité et de sang-froid que je n’en attendais.
— Aimez-vous votre pays ? continuai-je.
— Oui.
— Croyez-vous en Dieu ?
— Oui, j’y crois.
Le vieillard montrait une grande impatience, mais ne semblait plus éprouver de crainte, seulement de la curiosité.
— Nous sommes des soldats polonais qui venons d’échapper aux Allemands. Nous allons rejoindre l’armée pour sauver la Pologne. Nous ne sommes pas encore battus. Vous pourrez nous venir en aide et nous donner des vêtements civils. Si vous refusez et essayez de nous livrer aux Allemands, Dieu vous punira.
Il m’examina par en dessous. Je ne pus voir s’il était amusé, impressionné ou alarmé. Il dit sèchement :
— Entrez. Ne restez pas sous cette pluie. Je ne vous livrerai pas.
Une fois entrés, nous nous effondrâmes dans deux vieux fauteuils, jadis luxueux, maintenant déchirés et délabrés. Ils produisaient un effet bizarre au milieu des autres meubles, une table, un banc et deux chaises grossièrement taillés dans du sapin brut. Une lampe à huile éclairait faiblement la pièce. Une vieille paysanne au visage ridé et hâlé, un fichu sur la tête, était assise près d’un poêle qui répandait une chaleur merveilleuse. L’homme nous présenta : « Ce sont des soldats polonais qui ont échappé aux Allemands. Ils ont froid et sont fatigués. Donne-leur quelque chose pour qu’ils se réchauffent les os. »
Elle nous sourit et se dépêcha de nous préparer du lait chaud. Quand il se mit à bouillir sur le poêle, elle le versa dans deux tasses épaisses qu’elle nous tendit avec deux tranches de pain noir. Nous savourâmes ce repas et, lorsqu’il fut terminé, je remerciai avec effusion pour compenser le ton rude que j’avais pris à notre arrivée. Le paysan resta taciturne et impénétrable.
— Allez vous coucher, à présent, dit-il placidement. Demain matin, quand vous serez reposés, nous parlerons davantage.
Il nous fit signe de le suivre et ouvrit une porte qui donnait dans une petite pièce noire.
— Il n’y a qu’un lit, mais il est assez grand pour deux. Et il y a des couvertures dessus, si vous en avez besoin.
Nous nous déshabillâmes rapidement et nous nous glissâmes sous les couvertures. C’était le premier matelas que nous avions depuis des semaines. Il était mince, dur et la toile était rugueuse, mais nous ne le remarquâmes même pas. Après nous être réjouis de notre bonne fortune, le sommeil nous prit aussitôt. Au cours de la nuit, je m’éveillai plusieurs fois. J’avais la sensation d’être mordu et piqué sur tout le corps. J’avais trop sommeil pour me livrer à des investigations et, comme mon compagnon ronflait paisiblement, j’en conclus que c’était mon imagination qui travaillait ou les boutons que j’avais en grand nombre. Ce n’était ni l’une ni l’autre. Ce lit était infesté de puces. Elles restèrent sur nous et il me fallut des semaines avant d’en être débarrassé complètement.
Quand nous nous éveillâmes, il était presque midi et le soleil brillait à travers l’étroite fenêtre placée au-dessus du lit. Malgré les puces, je me sentais reposé, plein d’espoir et d’optimisme.
Le paysan nous avait entendus bouger et il entra brusquement pendant que nous faisions la chasse aux puces.
— Il y en a t rop pour que vous les a ttrapiez, dit-il en riant bruyamment. Je regrette de n’avoir rien eu de mieux à vous offrir, messieurs, mais elles ne sont pas bien méchantes.
Je marmottai qu’en tout cas j’avais très bien dormi et le remerciai de son hospitalité.
— Nous ne pouvons pas faire grand-chose pour vous, dit-il. Nous étions déjà de pauvres gens autrefois, et à présent, avec les Allemands ici, les choses vont de mal en pis. Nous vous aiderons et nous vous donnerons ce que nous avons, mais il faut vous hâter. Les Allemands peuvent venir vous chercher par ici d’un moment à l’autre.
— Vous êtes un brave homme, lui dis-je.
Le vieillard nous donna ce qui devait être ses derniers lambeaux de vêtements : deux pantalons
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